Les anglophones ont un mot que j’aime bien et qui n’a pas vraiment d’équivalent en français dans un des contextes où il est utilisé. Il s’agit de “entitled.”
Je pourrais essayer de le traduire avec d’autres mots proches, mais je préfère te donner quelques exemples pour que tu comprennes son sens profond. Le prince héritier d’un trône, par exemple, est “entitled” par rapport à ce trône. C’est le sien, il n’a rien à faire pour le mériter, et personne ne peut le lui enlever. C’est un peu comme le cas du roi Charles en Angleterre ou la position actuelle du prince William.
Les bébés qui pleurent tout le temps le font aussi parce qu’ils sont “entitled.” Ils savent que tout le monde se pliera en quatre pour satisfaire leurs moindres désirs. Mais en grandissant, ils perdent cette attitude, car ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls au monde et qu’on ne peut pas être “entitled” de l’attention d’une personne : il faut la mériter.
Pourquoi je te parle de ça ? Parce que, bien qu’il n’y ait que très peu de choses sur cette Terre auxquelles on puisse être véritablement "entitled" (oui, je préfère l'utiliser dans sa forme anglaise), beaucoup de gens peinent à se débarrasser de cette mauvaise habitude. Tu pries matin et soir pour avoir un travail parce que tu n’arrives plus à joindre les deux bouts. Mais six mois après avoir trouvé ce travail, c’est toi qui arrives en retard, qui piques dans la caisse, qui boude les retards de paiement et qui parles mal à ton patron. Tu as déjà oublié qu'il y a six mois, tu étais au bord du gouffre, et aujourd’hui, tu minimises la valeur de ce travail.
Quand tu voyais passer cette jeune fille, tu rêvais qu’elle te dise bonjour. Avoir une interaction régulière avec elle, c’était déjà un bonheur. Avec le temps, elle a fini par accepter d'être en couple avec toi. Tu étais l’homme le plus heureux du monde. Mais un an de relation plus tard, c’est toi qui la bats, qui la traites sans respect. Ta valeur n’a pas augmenté, la sienne n’a pas baissé. Tu es juste devenu "entitled." Tu l’as prise pour acquise.
Et c’est peut-être la meilleure traduction que je puisse donner à ce mot : “prendre pour acquis.”
Nous le faisons souvent. Nous prenons des choses et des gens pour acquis. C’est un défaut naturel du cerveau, mais, comme la plupart des biais cognitifs, nous devons apprendre à le connaître pour mieux l’apprivoiser. Cela nous arrive tous, toi qui me lis et même moi qui écris. Comment je peux en être aussi sûr ? Faisons un test !
J’aimerais que tu t’arrêtes un instant, où que tu sois (en espérant que tu ne lises pas mes textes en conduisant). Demande-toi quelle est la chose qui a le plus de valeur pour toi, là, tout de suite. Je te laisse réfléchir.
Je suppose que tu penses à tes enfants, à ta partenaire ou à tes parents. Ou alors, tu penses à ton excellent boulot, à tes objets de valeur, ou encore à ta santé, car tu sens qu’il y a un piège dans ma question.
Si c’est le cas, félicitations. Oui, toutes ces choses ont de l’importance, et tu ne devrais jamais les prendre pour acquises, car elles peuvent disparaître du jour au lendemain.
Mais tu es peut-être passé à côté de la chose la plus importante de ta vie. Parce que c’est aussi la plus abondante. La seule chose que tu n'as jamais eu à payer et dont tu n'as jamais manqué. Elle est tellement présente que toi aussi, tu la prends pour acquise. Il s’agit de l’oxygène que tu respires. Si cet oxygène te manquait ne serait-ce qu’une poignée de minutes, toutes les autres choses auxquelles tu as pensé plus haut n’auraient plus aucune importance. Et pourtant, tu n’y penses jamais. Tu ne prends même pas une minute par jour pour remercier la nature, les plantes, de te l’offrir, à toi et à tous ceux que tu aimes, en quantité abondante.
C’est cela, être “entitled.”
Nous le sommes un peu trop, tous autant que nous sommes. Et le défi, c’est de l’être le moins possible. Souvent, ton mari ne cherche pas à se remettre avec toi parce que tu es exceptionnelle, mais simplement parce qu’il se rappelle qu’à un moment, tu avais beaucoup de valeur à ses yeux et que cette valeur est toujours là. C’est juste lui qui a commencé à la prendre pour acquise et à la minimiser. La plupart du temps, quand tu te fâches contre une personne qui t’a été très proche, quand tu dénigres le poste que tu convoitais, quand tu laisses tomber ton pays pour obtenir la nationalité d’un autre, ce n’est pas que ces personnes sont subitement devenues mauvaises, que ce poste a perdu sa valeur, ou que ton pays n’en vaut plus la peine : c’est toi qui les as pris pour acquis. Et c’est une erreur.
Aujourd’hui, tu as la chance d’être parmi les premiers à lire mes textes chaque jour. Tu as la possibilité de les partager, de montrer au monde que tu fais partie de ceux qui étaient là au début. Mais tu prends même ça pour acquis. Un jour, j’arrêterai peut-être d’écrire. Un jour, des milliers de personnes partageront mes textes dans le monde avant toi. Un jour, tu n’auras peut-être plus l’occasion de me côtoyer pour me dire à quel point tu appréciais mes textes. Ne prends pas pour acquis la chance que tu as aujourd’hui. Car elle aussi, elle peut disparaître du jour au lendemain.
Douala 🇨🇲