Hier, avec Flavien, nous déjeunions avec un grand DG de la place. Dans un commentaire par rapport à un projet en RDC, il nous a dit qu’il avait finalement levé le pied. La cause : il y était il y a quelques semaines lors du coup d’état manqué. Il nous a raconté comment il avait eu la peur de sa vie et avait dû se réfugier sous le lit pendant des heures sur les consignes du personnel de l’hôtel. Il leur avait demandé où était située l’ambassade de France.
Je pense qu’il se souviendra toute sa vie d’éviter certains commentaires devant nous. Avec un grand sourire, Flavien lui a demandé pourquoi l’ambassade de France ? S’il avait un passeport français ? À noter que c’est un Pater qui a étudié et travaillé en France de nombreuses années avant de rentrer au pays.
Sentant qu’il venait de faire une gaffe, il n’a pas vraiment répondu à la question, essayant de nous enfumer avec une histoire d’humanitaire et tout, pour finir par dire que la question de nationalité était un faux débat. Que le passeport ne déterminait pas vraiment qui aimait un pays plus qu’un autre. Enfin, tout un tas d’histoires que j’entends souvent de mes amis mbenguistes avec leurs nouveaux passeports.
Flavien a été poli et n’a pas insisté. C’était à mon tour de jouer. Je lui ai fait savoir que je ne pensais pas que c’était un faux débat. Que je pensais que la double nationalité avait été mise en place par les plus forts pour spolier les plus faibles de leurs ressources humaines. Et que la plupart des anciens pays du tiers-monde qui ont réussi à s’élever au rang de grandes puissances mondiales aujourd’hui n’acceptaient pas la double nationalité.
Comment peut-on demander à un enfant de choisir entre son père et sa mère quand l’un est vendeur de glace et l’autre agriculteur ? Les enfants, qui aiment le sucre, vont naturellement se diriger vers le vendeur de glace. Les pays développés savent qu’avec la double nationalité, la balance va presque toujours pencher de leur côté. C’est un jeu auquel on ne devrait pas jouer. Nous ne maîtrisons pas les règles et n’avons juste aucun moyen pour le gagner.
J’entends souvent des Camerounais, surtout de la diaspora, se plaindre du fait que le Cameroun soit un pays bizarre où la double nationalité n’est pas permise. À les entendre, le Cameroun serait une exception internationale. Beaucoup ne savent pas que nous ne sommes même pas les plus stricts sur la question. Les plus stricts étant la Chine, le Japon, l’Inde ou la RDC pour ne citer que ceux-là. Et certains ne savent même pas que les pays dans lesquels ils vivent actuellement et dont ils convoitent la nationalité, ne tolèrent que partiellement cette double nationalité, un peu comme le Cameroun. Des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège ou même la Hollande. Pour ne citer que les pays d’Europe. Et jusqu’en 2008, même la Belgique ne l’acceptait pas du tout.
Nous sommes tellement concentrés sur nos petits nombrils qu’on ne se rend pas compte de tous les instruments mis en place par les puissants pour nous attirer comme des mouches avec du lait. Et j’avoue que moi-même, jusqu’à il y a quelques années, je n’y voyais que du feu. Heureusement que je fais un effort constant de ne jamais cesser d’apprendre.
Pendant mon séjour en Occident, j’ai remarqué un schéma qui m’a fait peur. Les jeunes africains y arrivent souvent entre 20 et 30 ans. Pour ceux qui font des études, il se passe à peu près 5 à 8 ans d’études. Ensuite, commence une phase où il faut avoir les “bons” papiers, qui peut durer entre 3 et 5 ans. Les plus malins dans cette phase convoitent directement le Saint Graal : la nationalité du pays d’accueil. Et une fois tout ça dans la poche, commence un long processus d’intégration. À 30 ans, on veut devenir comme un Français qui l’est depuis 30 ans, tout en essayant de se débarrasser de ses vieilles habitudes de Camerounais qu’on trimballe depuis sa naissance.
Tout ceci donne naissance à des êtres extrêmement frustrés. Trop noirs pour être français, trop français pour être camerounais. Tous ces guignols qu’on voit vociférer tous les jours sur les réseaux sociaux. Des personnes qui ne savent pas qu’elles ont été prises au piège. Et il leur faudra une tonne de courage pour se sortir de cette situation délicate. Et je ne te parle même pas de leurs enfants, les pauvres !
Comme je disais à notre Pater hier, nous avons besoin de construire une identité camerounaise. Nous n’avons pas besoin de nous tracasser avec des problèmes de double nationalité. Nous avons plus de 20 millions de jeunes qui ont moins de 20 ans, donc encore mineurs. Nous avons le devoir de leur proposer une vraie alternative, une patrie qui serait la leur. Un bien qu’ils pourraient chérir. Nous n’avons pas besoin de modèles de personnes qui ont été prises au piège par envie ou manque de maîtrise de soi. Nous n’avons pas besoin de 10 millions de jeunes dans 15 ans sur le marché de l’emploi qui se demanderaient s’il ne serait pas préférable d’aller chercher un passeport canadien ou italien avant de revenir voir ce qu’ils pourraient faire pour leur pays 20 ans plus tard. Nous avons besoin de jeunes concentrés qui savent que ce n’est pas un hasard s’ils sont nés dans cette partie du monde et que c’est leur devoir de balayer la maison pour la rendre la plus belle du quartier.
Être camerounais, ce n’est pas seulement avoir des droits, comme le pensent la plupart des pleurnichards d’internet. C’est aussi et surtout avoir des devoirs. Le devoir de s’occuper de la génération précédente et de guider celle suivante. Et si quelqu’un trouve qu’il est mieux ailleurs, nous n’allons pas le pleurer. Même les milliardaires renient leurs enfants.
Le Cameroun était là avant nous et sera là après nous. Si certains pensent qu’ils sont au-dessus de lui, si ça ne dépendait que de moi, on leur interdirait même l’entrée.
Pourquoi crois-tu que la plupart de nos dignitaires vont mourir en Occident ? La plupart ont des passeports occidentaux. Et ils savent qu’à un certain âge, leurs enfants devront aller dans de bonnes écoles et qu’eux-mêmes auront des problèmes de santé. Ils le savent comme toi aussi tu le sais. Mais pourquoi construire des universités et des hôpitaux dignes de ce nom en Afrique quand leurs enfants pourront aller s’inscrire dans les universités de leurs “vrais” pays ou quand ils pourront aller se soigner gratuitement en France au frais de la Sécu ? Pourquoi se donner autant de peine ?
Je ne refuse pas qu’une personne ait la double nationalité. Beaucoup trop de personnes sont nées de parents de nationalités différentes. Et il serait injuste de leur refuser une nationalité d’un de leurs parents. Mais le Japon, par exemple, a fait un bon compromis en laissant l’enfant choisir sa nationalité à la majorité. Soit tu gardes la japonaise soit tu la perds. Mais tu ne pourras pas avoir les deux. L’Inde aussi a un système plutôt pas mal avec leur carte d’identité de ressortissants de personnes d’origine indienne, qui leur permet d’entrer dans le pays sans visa. Mais quand il s’agit de construire un pays, d’avoir “the skin in the game”, on ne peut pas jouer sur les deux camps. Il faudra choisir. En Australie, par exemple, il est impossible d’être élu au parlement ou au sénat si on a une double nationalité. Et même Boris Johnson (né à New York) a dû renoncer à sa nationalité américaine quand il devait devenir premier ministre de Grande Bretagne.
Un peu de sérieux mes amis!
Douala 🇨🇲