Il y a quelques mois, je suis tombé sur un ami d’enfance avec qui j’ai pris un peu de temps pour discuter. Comme la plupart de mes amis d’enfance, il m’a félicité pour le fait que j’ai réussi à « ranger » mon frère. Apparemment, ils sont tous impressionnés par la personne qu’il devient et attribuent ce changement à mon retour au pays.
Il m’a aussi parlé de son père, malade et atteint d’une maladie du foie. Il m’a expliqué qu’il n’y avait qu’un seul hépatologue à l’hôpital Laquintinie, où son père était interné, et que ce dernier était tellement surbooké qu’il était presque impossible de suivre un patient normalement. Heureusement pour lui, nous avons un grand-frère du quartier qui, après ses études de médecine en Afrique de l’Ouest et quelques stages en France, est retourné exercer au Cameroun. C’est lui qui essayait d’analyser les résultats d’examen du père et de lui indiquer la démarche à suivre.
Il en était tellement reconnaissant. Sans ce grand-frère, comme il l’a dit lui-même, il ne savait pas ce qu’il aurait fait. Rester dans le noir, sans informations, alors qu’on a un proche qui souffre le martyre, ce n’est pas facile.
Plus loin dans la conversation, il m’a encore demandé pourquoi j’étais rentré au pays. Comment, alors que tout le monde veut partir, moi, je suis en train de rentrer. J’ai d’abord fait une pause, me demandant si les gens s’entendent même parler dans ce pays.
Je lui ai dit que s’il faisait une petite recherche sur Google, il se rendrait compte qu’en région parisienne seulement, il y a au moins une vingtaine d’hépatologues d’origine camerounaise. Que pendant que son père est en train de mourir ici, des Camerounais comme moi préfèrent rester en Occident pour soigner les parents des autres. Je lui ai demandé comment il aurait fait si ce grand-frère aussi avait décidé de rester en France. Et j’ai fini par lui rappeler que s’il est aussi impressionné par la nouvelle trajectoire de mon frère, c’est aussi peut-être parce que j’ai choisi de retourner auprès des miens pour montrer la voie.
Je lui ai demandé s’il s’était déjà posé la question de savoir ce qui arriverait quand nous serons tous partis. Quand tous les médecins, tous les ingénieurs, tous les artisans, tous les artistes seront partis. Que deviendront notre pays, nos parents, nos familles, nos amis ?
Et à toi, Africain, qui lis ce texte depuis l’Occident, je te pose la même question. À ton avis, qui rendra à ta famille ici au pays le service que tu es en train de rendre aux familles des autres là-bas ?
Douala 🇨🇲