En mai de cette année, j’ai eu une discussion avec un pote vivant en Occident et de passage au Cameroun. Il cherchait à connaître mon avis sur la situation du pays, sur nos problèmes, sur ces petites choses qui nous empêchent d’avancer. Nous avons fini par aborder le fameux sujet, non pas celui du Canada, mais presque : le sujet de tout le monde qui veut partir. Et il m’a posé la question à laquelle je travaille depuis quelques années déjà et dont j’ai tant cherché la réponse.
Il m’a dit en ces termes : “Ronel, toi que je connais, concentré sur le sujet du Cameroun depuis si longtemps. À ton avis, pourquoi tout le monde veut partir ?”
J’ai d’abord souri, car cela m’a renvoyé à mon mot préféré : la sérendipité. Si tu ne sais pas ce que cela signifie, j’ai demandé pour toi à Claude de le définir brièvement et voici ce qu’il a dit : “La sérendipité est la faculté ou le phénomène de faire par hasard une découverte inattendue et heureuse, généralement alors qu’on cherchait autre chose. C’est une forme de chance ou de coïncidence productive qui mène à des trouvailles importantes ou utiles de manière fortuite.”
J’ai souri en pensant à la sérendipité lorsqu’il m’a posé cette question, car il y avait à peine quelques jours que j’avais enfin trouvé moi-même la réponse. Et comme je l’ai dit plus haut, j’avais passé des années à la chercher.
Avant de te donner la réponse que j’ai trouvée, il faut que tu saches que j’ai étudié sous tous les angles toutes les réponses que tu pourrais imaginer actuellement si tu t’es déjà posé cette question, et qu’aucune ne tenait la route mathématiquement parlant. Car, oui, il ne s’agit pas d’une question littéraire, mais bel et bien d’un problème mathématique : quelle est la cause principale d’un phénomène précis observable ? Comment distinguer le signal du bruit ?
Peut-être qu’un jour, je prendrai le temps de faire un long essai sur la méthode que j’ai utilisée et comment je suis arrivé à ma conclusion. Mais pour l’instant, je vais juste te donner la réponse comme je l’ai faite il y a quelques mois à mon pote. Et elle tient en un seul mot : L’ENVIE !
Tu es peut-être surpris, et tu te dis certainement : “Non, les gens partent parce qu’ils ont faim, parce qu’ils veulent un meilleur avenir, parce que le pays est risqué…” Oui, c’est vrai, c’est ce qu’ils disent. Mais comme je te l’ai dit, j’ai examiné toutes ces raisons sous tous les angles, et aucune ne fait l’unanimité. Tu pourrais dire qu’il ne peut pas y avoir une seule raison, que chacun a son histoire et ses particularités. Oui, nous sommes tous différents. Mais les lois de la nature s’appliquent de la même façon à tous. Le reste n’est qu’un narratif, une histoire que l’on se raconte.
L’envie, tout comme l’ego, est un virus très puissant. Il ne se manifeste jamais de la même façon chez les individus qu’il affecte. Chez une personne, l’ego va le pousser à acheter la plus grosse voiture du quartier, chez une autre, il va le pousser à vouloir avoir le plus de partenaires sexuels possible. Les manifestations sont diverses, mais c’est la même cause qui est à l’œuvre.
Encore plus sournoise que l’ego, l’envie est un virus très dangereux. Semblable aux virus sexuellement transmissibles, dont l’un des tours de magie est de pousser la victime à avoir honte de son affection et à n’en parler que quand il est trop tard. C’est une catégorie de virus passé maître dans l’art du syndrome de Stockholm. Comme disait Plutarque il y a presque 2000 ans déjà : “L’envie est le seul vice dont on n’avoue pas la faiblesse.” Un peu comme un virus dont on n’avoue presque jamais la contamination.
Pourquoi tout le monde veut partir ? Parce que nous sommes extrêmement envieux ! Aussi simple que cela. Tout le reste n’est que des histoires que nous nous racontons pour essayer de rationaliser nos comportements.
Mais même l’envie n’est pas incurable. Et comme pour la plupart des problèmes, le plus difficile est de trouver la cause. Une fois cela fait, développer des solutions appropriées n’est plus qu’une question de temps. Et tu dois imaginer que j’y travaille déjà. Peut-être que dans le futur cela fera l’objet de mon discours un 10 décembre à Stockholm ou à Oslo.
Pourquoi je t’en parle aujourd’hui ? Un bon ami à moi m’a fait une confidence ce matin. Il a été contacté pour trouver un billet d’avion pour un vol vers N’Djamena, au Tchad. Apparemment, une de ses clientes doit s’y rendre pour passer le test de langue pour le Canada, le Cameroun n’ayant plus de dates disponibles avant très longtemps. Combien coûte le billet d’avion ? Plus de 600 000 FCFA (1000 €). Mais le plus intéressant, c’est cette cliente. Une jeune dame dans la trentaine, cadre dans une grande multinationale de la place, qui roule dans une voiture (pas une voiture de service, la sienne) de 14 000 000 FCFA (21 000 €) et qui vient de s’acheter un terrain de 20 000 000 FCFA (30 000 €) pour y construire sa maison. Tout cela en ayant fait tout son cursus scolaire au Cameroun et venant d’une famille modeste. Elle aussi se dit que peut-être c’est au Canada qu’il y a la vérité !
Comme disait Napoléon Bonaparte : "L’envie est une déclaration d’infériorité."
Douala 🇨🇲