Sommes-nous encore envoûtés ? Une réflexion sur nos croyances et nos contradictions.

Je suis tombé sur une vidéo sur LinkedIn tout à l’heure. Franchement, il faut peut-être que je supprime mes comptes sur les réseaux, parce que je n’en peux plus avec mes frères africains.

Il s’agissait d’un pasteur qui parlait du fait que nous soyons envoûtés, envoûtés par les sages. Des sages qui comprennent parfaitement comment fonctionne l’être humain et qui utilisent ces connaissances pour envoûter des peuples entiers. À travers la psychologie ou encore des outils technologiques comme les notifications et TikTok. Bref, il disait des choses très pertinentes, avec des exemples tirés de la Bible où, pour continuer à asservir le peuple israélien, les pharaons faisaient appel à des sages pour perpétuer leur envoûtement. Il a même parlé du général Gallieni et de ses théories pour faire avancer l’agenda de la colonisation française en Afrique.

Dans la vidéo, il aborde le fait que les Africains veulent tous partir en Occident parce qu’on leur a fait croire qu’ils ne pouvaient rien faire par eux-mêmes, que le Blanc est la solution à tous leurs problèmes. Il évoque aussi un sujet dont je parle souvent avec mes amis de la diaspora : en Occident, des systèmes sont mis en place pour empêcher certaines personnes d’atteindre un niveau de connaissance qui leur permettrait de sortir du bas de la société. Le sort qui attend la plupart des enfants de toutes ces personnes qui fuient l’Afrique en croyant aller au paradis. Bref, le sujet était pertinent !

Au début, je ne savais pas qui parlait. Je me suis même dit à un moment donné qu’il restait encore quelques penseurs sur le continent qui n’avaient pas peur de dire la vérité, que tout n’était pas perdu. Ça, c’était avant la fin des trois minutes de la vidéo, quand il s’est levé pour prier avec son auditoire. Là, je me suis dit : "Ekiee, c’est quel genre de contradiction ça ?" Tu parles de l’envoûtement de certains peuples par des sages, alors que toi-même, tu es envoûté par une religion qu’on a imposée de force à tes ancêtres !

Non, je nous respecte ! Comment se fait-il qu’il n’arrive pas à faire le lien entre son message et sa position de pasteur ? Peut-être que tout est vraiment perdu pour ce continent.

Tout cela m’a rappelé une très belle discussion que j’ai eue avec ma mère ce week-end. Une discussion sur les grands philosophes de la Terre qui sont nés presque au même moment (Confucius, Zoroastre, Lao Tseu, Bouddha), sur l’origine des sociétés secrètes occidentales depuis Pythagore, sur la vie de Jésus et la secte (christianisme) créée après sa mort par ses disciples, sur le destin heureux du christianisme parmi les centaines de sectes que comptait l’Empire romain, qui a pris un coup de fouet avec Constantin Ier, dont la mère était chrétienne ; sur Constantinople (ancienne capitale de l’Empire romain sous Constantin) devenue Istanbul ; sur le fait que le Vatican serait peut-être en Turquie aujourd’hui si l’Empire ottoman n’avait pas existé ; sur le fait que les hommes ont compris à un moment donné que le meilleur ciment d’une nation, surtout quand les frontières s’élargissent, est d’unir les peuples sous une même croyance ; sur la naissance de l’Islam et la conquête du reste du monde ; sur la fin de l’expansion musulmane au nord du Cameroun, sur le fait que la conquête serait allée jusqu’en Afrique du Sud s’il n’y avait pas eu quelques couacs ; sur le fait que les peuples les plus développés se sont tous appuyés sur la philosophie d’un de leurs compatriotes ; sur le combat de Mao en Chine pour ramener le pays dans le confucianisme ; sur le fait que nous aussi en Afrique avons eu nos grands philosophes, mais avons eu la malchance de rencontrer l’écriture très tard dans notre histoire ; sur le fait que la première forme de transmission dans le monde, et la plus fiable, a toujours été la transmission orale ; sur le fait que les messages ont toujours été transmis par des chansons depuis des millénaires ; sur le fait que les sociétés se sont toujours organisées en confréries pour transmettre les messages importants aux initiés, formés pendant longtemps pour perpétuer la tradition ; sur le fait qu’en Afrique, ces griots, ces gardiens de la culture, ont été les premiers à être combattus pour nous couper de notre histoire ; sur le fait que si nous ne revenons pas à nos racines, nous ne pourrons jamais nous développer ; sur le fait que la plupart des peuples du monde ont leurs propres calendriers, qui reflètent l’observation du monde depuis leur environnement, et que nous sommes les seuls à vouloir vivre avec le calendrier des autres peuples ; sur le fait que ce n’est pas un hasard si le calendrier Bamiléké a 8 jours ; sur le fait que c’est à ma génération (et à toi qui me lis) de faire le travail d’anthropologie pour retrouver nos racines ; sur le fait que ce n’est pas impossible, car même si aucun de nous n’était là à l’époque du Jurassique, nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les dinosaures. 

Bref, la discussion était tellement intéressante. J’ai vu dans les yeux de ma mère qu’elle-même ne savait pas quel genre d’enfant elle avait accouché. C’était juste dommage que cela n’ait pas été enregistré.

Oui, comme disait le pasteur, nous sommes envoûtés. Mais cela va plus loin, beaucoup plus loin qu’il ne l’imagine. Même la religion dont il est pasteur aujourd’hui est un instrument de notre envoûtement. Comme je disais à maman ce week-end : "La croyance est un mur qui nous sépare de la connaissance." Tant que tu crois, tu ne pourras pas réfléchir. Car réfléchir, c’est refuser de croire sans comprendre.


Douala 🇨🇲