Diaspora : entre aspirations et contradictions

Suite à mon texte d’il y a quelques jours sur l’illégitimité de Tidjane Thiam à prétendre à la présidence ivoirienne selon Jean-Louis Billon, certains gars de la diaspora sont sortis de leurs gonds. Apparemment, c’est un sujet qui les touche. Peut-être parce que la plupart sont bien installés en Occident, espérant que les choses s’améliorent ici pour venir réclamer des postes de ministres ou de directeurs. Alors aujourd’hui, on va approfondir un peu ce sujet.

Commençons par l’argument phare de la diaspora : “Même nous, depuis l’étranger, on se bat pour le pays.” D’accord, supposons que ce soit vrai, même si j’ai de sérieux doutes en ayant observé cette diaspora de près. Si vous vous battez vraiment pour le pays depuis l’étranger, alors quand les choses iront mieux, postulez pour des postes à l’étranger. Il y a des représentations diplomatiques un peu partout. Essayez d’y travailler. Ça permettra d’économiser sur les frais d’expatriation du personnel de ces ambassades. Mais tu ne peux pas demander aux gens de s’inscrire sur les listes électorales depuis Paris, pendant que Cabral Libii le fait depuis Yaoundé, et espérer qu’on te nomme ministre de l’Intérieur au Cameroun, à sa place. Soyons sérieux. Si vous avez décidé de vous battre pour le pays depuis l’étranger, restez dans votre couloir jusqu’au bout.

Quand tu discutes avec des candidats à l’immigration ou même des membres de la diaspora, ils te disent clairement : “On part parce que c’est difficile au pays.” Je ne vais pas te mentir, c’est difficile ici. Mais si tu choisis de fuir un combat difficile pour aller mener un combat plus facile, tu ne trouves pas ça un peu bizarre d’espérer qu’on te confie les rênes du pays ? Tu embaucherais un garde du corps qui fuit au moindre bruit suspect ou quelqu’un qui reste et fait face ? Parce que cette diaspora, qui prétend être le sauveur de l’Afrique, n’oublions pas qu’elle a pris ses jambes à son cou quand ça devenait un peu compliqué.

Beaucoup de membres de la diaspora pensent que ceux qui restent n’ont pas le choix. Ce qui est totalement faux. Certes, il y a ici des gens qui rêvent d’ailleurs. Mais il y a aussi des personnes brillantes qui choisissent délibérément de rester. Des gens qui, malgré de belles offres d’expatriation, préfèrent rester parce que le Cameroun est un devoir pour eux. Ces personnes travaillent dans l’ombre pour maintenir un équilibre. C’est à elles que devrait revenir la tâche de diriger ce pays, pas à un médecin formé ici qui est parti être chauffeur Uber au Canada parce que le pays était “trop dur”.

Quand tu prononces le nom de Tidjane Thiam devant des Africains de la diaspora, leurs yeux brillent comme s’ils avaient vu un ange. Pourquoi ? Parce qu’il a été directeur général de Crédit Suisse, une banque européenne ? C’est cette diaspora pleine de complexes que vous voulez nous ramener ? Une diaspora qui vénère le franco-ivoirien Tidjane mais ne connaît rien du camerounais Paul Fokam, le fondateur d’Afriland First Bank, ou du togolais Koffi Gervais Djondo, le co-fondateur d’Ecobank et d’Asky ? Non merci.

Nous n’avons pas besoin d’une diaspora qui nous parle sans cesse de ses exploits dans des multinationales occidentales. Gardez vos BNP Paribas, vos Microsoft, vos Mercedes ou vos Samsung. Ce dont on a besoin, ce sont des enfants du pays, sans complexes, qui viendront bâtir les géants africains de demain.

Et cette diaspora qui revient avec des passeports occidentaux, un mode de vie totalement déconnecté, on n’en veut pas non plus. Nous nous sommes battus pour sortir du joug de l’esclavage et de la colonisation, ce n’est pas pour que vous veniez nous y replonger. Cette diaspora qui mange du fromage tous les jours, investit dans des pavillons en région parisienne ou sur les entreprises du CAC 40, envoie ses enfants dans des écoles internationales, fait le tour de la zone Schengen à la moindre occasion mais ignore tout de la zone CEMAC… Franchement, non merci.

L’Afrique a besoin de tous ses enfants pour réussir. Là-dessus, on est d’accord. Mais certains enfants se considèrent d’abord comme Français, Américains ou Canadiens. Ils seront les premiers à fuir en cas de problème et les premiers à nous vendre à leurs nouveaux maîtres. Et après 400 ans d’esclavage et 200 ans de colonisation, ne viens pas me dire qu’on n’a pas le droit d’être vigilants. Nous avons tous un membre de notre famille que nous ne laissons jamais du regard quand il arrive dans notre maison, de peur qu’un objet ou même de l’argent manque à l’appel à son départ. 

Si tu es de la diaspora et que tu penses être utile, rentre et mets-toi au service du pays. Si tu attends d’avoir assez d’économies ou de construire ton immeuble avant de rentrer, accepte aussi qu’ici, on prenne le temps de tester toutes les options locales avant de te donner ta chance. Tu n’es pas le seul à avoir un cerveau.

Et si tu rentres comme l'ont fait les révolutionnaires de l’époque, mets-toi au service du peuple. Montre-nous que tu es avec nous. Tu ne peux pas être dans les cabarets des expatriés à supporter l’équipe de France de football pendant la Coupe du Monde et, en même temps, nous faire croire que si la France a un différend avec le Cameroun demain, tu seras de notre côté. Tu ne peux pas envoyer tes enfants dans les écoles internationales et nous faire croire que tu te soucies du sort de l’éducation des enfants du pays. Tu ne peux pas être fourré tous les jours dans les réceptions des ambassades et nous empêcher de croire que tu serais un espion.

Si tu veux travailler, choisis un secteur et travaille. Fais profil bas. Vis nos réalités. Mange comme nous. Parle comme nous. Apprends vraiment à nous connaître. Bats-toi à nos côtés. Et qui sait, peut-être qu’un jour on aura moins de doutes sur tes intentions réelles. Après 400 ans d’esclavage et 200 ans de colonisation, tu ne peux pas nous reprocher d’être vigilants quant aux personnes avec qui on s’associe. Fussent-ils nos propres enfants.

Je pourrais écrire un livre sur ce sujet. Mais bon, comme j’ai dit au début, aujourd’hui, on approfondit juste un peu.

Douala (Pas Montréal ni Paris, mais Douala) 🇨🇲