Langue et identité : un petit geste qui fait toute la différence

Tout à l’heure, j’étais sur la moto, et nous avons eu une crevaison. Le chauffeur, un gars du Nord (les Babana, comme on aime les appeler), a dû s’arrêter pour que je prenne une autre moto. Il arrêtait les motos qui passaient pour organiser mon transfert.

La première chose qui m’a frappé, c’est qu’il leur parlait directement en langue (leur langue), comme s’il avait une façon précise de savoir si le chauffeur parlait cette langue. Sur les cinq interpellés, il n’y en a qu’un seul qui ne la parlait pas, sûrement un chauffeur qui n’est pas originaire du Nord.

Tu me diras peut-être que c’est facile de les distinguer, mais crois-moi, ce n’est pas si simple. Même moi, qui ai un sens aigu de l’observation, je ne pourrais pas parier sur un score de plus de 50 % si je devais m’essayer à l’identification. Pourtant, j’ai vécu trois ans au Gabon, un pays où tu développes rapidement l’expertise pour déterminer l’origine des gens que tu rencontres, même pour la première fois.

Mais l’histoire d’aujourd’hui ne tourne pas autour de l’identification. Non ! Il s’agit de la langue. Aussitôt que le chauffeur interpellait un autre, il lui parlait dans leur langue (dont je ne connais pas le nom, malheureusement). Il a négocié mon transfert devant moi sans que je ne comprenne un seul mot. Et c’est une habitude assez courante chez eux. Ils se parlent toujours dans leur langue.

Je me suis alors demandé comment cela se fait-il que je monte tous les jours sur des motos, que ces chauffeurs fassent partie de ma vie d’une manière ou d’une autre, et que je ne puisse même pas dire "merci" dans leur langue. Pourtant, je travaille mon anglais tous les jours, je parle italien, et je prévois d’apprendre le chinois ainsi que d’autres langues occidentales.

Je me suis aussi demandé quelles langues locales je parlais, en dehors de la mienne. Et là, j’ai réalisé que je ne suis pas très différent de ces pleurnichards de la diaspora africaine qui font des pieds et des mains pour être considérés comme des Français de souche.

La moindre des choses serait d’apprendre les langues des personnes avec lesquelles je passe le plus de temps. Les personnes qui partagent ma réalité. Les personnes qui pourraient être les premières à me porter secours si quelque chose m’arrive. Mais non, nous préférons jouer aux petits blancs avec les têtes vides.

Bref, il va falloir que j’arrange tout ça. C’est ça aussi, le leadership.


Douala (Babana City) 🇨🇲