Retrouver nos racines : le retour au Fipangrass

Ce matin au petit-déjeuner à l’hôtel, j’ai demandé du Fipangrass (La citronnelle ou Verveine des Indes), ou de la tisane, comme me l’a redemandé la dame à l’accueil.

Tu te demandes peut-être pourquoi je te parle de ça et quel rapport cela pourrait avoir avec la diaspora inutile (il fallait bien trouver un moyen d’envoyer une balle perdue). Laisse-moi t’expliquer.

Toute la semaine, je l’ai passée à Bafoussam pour travailler avec mon associé sur un nouveau projet. Nous voulions nous isoler pour mieux nous concentrer. Nous avons choisi Bafoussam parce que c’est la capitale de l’Ouest, la région où nous prévoyons de nous installer d’ici quelques années.

Chaque matin, après notre séance de sport et juste avant de commencer notre séance de travail, nous prenons un petit-déjeuner à l’hôtel. En général, il est composé d’œufs, de pain, de lait, et de chocolat en poudre (on va éviter de citer les marques non locales).

Tu me connais, au bout du deuxième jour, ça commençait à me faire chier de consommer uniquement des produits importés. J’ai demandé qu’on remplace le pain par de la banane tapée. Je ne sais pas si tu connais, mais c’est une recette faite avec une variété de banane que nous avons chez nous ici au Cameroun, la banane cochon comme nous l’appelons affectueusement. Une variété qui, je suppose, était très prisée par nos ancêtres jusqu’à ce que les industriels (suis mon regard) n’introduisent la banane Cavendish sur notre territoire. Donc depuis quelques jours, plus de pain pour nous, uniquement de la banane tapée. Mais il restait encore ces laits et chocolats en poudre.

Ce matin, j’ai demandé s’il était possible de nous faire du Fipangrass. Cette tisane qui a bercé nos enfances au pays. Je me rappelle une période où c’était la reine des petits-déjeuners, surtout pendant cette période de vacances scolaires qui coïncide avec la saison des pluies. Du Fipangrass, tu en trouvais planté dans presque toutes les maisons.

Aujourd’hui, c’est à peine si nos jeunes savent à quoi ça ressemble. Moi-même qui écris ces lignes, je n’en ai pas vu en nature depuis des mois. J’espère seulement que c’est bien cela qui nous a été servi ce matin. Car bien que l’odeur y était, je n’ai pas vraiment retrouvé ce goût de mon enfance.

Pourquoi tout ce texte autour du Fipangrass? Si tu te poses la question, il faut croire que tu n’as pas encore vraiment cerné le personnage.

Nous nous plaignons de notre pays qui n’avance pas, des choses qui vont mal. Nous pensons que la solution est ailleurs, même si cela signifie devenir esclaves chez les autres. Alors qu’en réalité, nous sommes tous responsables. Pourquoi avons-nous laissé mourir nos cultures, nos aliments locaux? Aujourd’hui, la banane cochon est presque introuvable sur les marchés, même dans son fief de l’Ouest du Cameroun. Nous nous précipitons sur les cultures de la Cavendish, du cacao, du café, que nous ne consommons pas, au détriment des aliments que notre Terre riche nous a gracieusement offerts. Qu’avons-nous fait du Fipangrass, qui était un préventif transmis dans nos familles de génération en génération? Non, nous préférons consommer les déchets déshydratés de lait de vaches que nous n’avons jamais vues (je t’invite, si tu ne l’as pas encore fait, à faire une recherche sur la fabrication de lait en poudre).

Nous nous plaignons alors que nous sommes le problème. Si tu ne réclames pas les produits locaux à consommer, comment penses-tu que ceux qui les cultivaient continueront à le faire? Si tu passes ton temps à consommer des produits dont les semences sont importées, comment penses-tu obtenir ton indépendance un jour?

Il y a quelques jours, je parlais du fait que presque tout était importé dans nos mariages, jusqu’à la nourriture. Ce n’est pas que dans nos mariages, c’est toute notre vie qui est importée. Et vu que certains se croient tellement malins, ils ont décidé de vivre directement à la source de l’importation au lieu de se battre pour leur souveraineté. C’est tellement dommage!

Que tu vives en appartement ou en maison, je t’invite à planter ton Fipangrass et à recommencer à le consommer quotidiennement. Et si tu veux savoir pourquoi, sacrifie une soirée Netflix pour te renseigner sur tous ses bienfaits. Qui sait, peut-être qu’après ça tu m’inviteras à partager une tasse avec toi comme le faisaient nos parents. Enfin, tu ne le fais que si tu te sens Camerounais comme moi!



Bafoussam 🇨🇲