Tu sais ? Alors montre-le. C’est ton devoir

Aujourd'hui, je suis allé rendre visite à maman. Ça faisait longtemps que nous n'avions pas eu nos longues discussions. Nous avons un peu marché au quartier et dès que nous sommes sortis de la maison, j'ai commencé à remarquer des petites choses bizarres. Tu commences déjà à me connaître, je ne peux pas m'empêcher d'observer et de faire des remarques. D'ailleurs, cette fois-ci c'est même maman qui a commencé à faire la première remarque. À croire que j'ai déjà contaminé l'enfant d'autrui.

Elle m'a montré un voisin qui a refait les travaux chez lui récemment et qui au lieu de canaliser les eaux pour les envoyer dans la rigole, les laisse couler directement dans la rue. Ce qui avec le temps va creuser cette dernière. Ensuite, je lui ai fait remarquer que bientôt le quartier allait se transformer en cité d'immeubles. C'est chacun qui dans l'anarchie totale, dès qu'il a un peu d'argent, coule la dalle sur la maison pour en faire un immeuble. Et elle qui était déjà une adulte quand le quartier a été créé m'a rappelé qu'ils sont en train de faire ça comme ça dans une zone marécageuse.

Je lui ai expliqué à quel point c'était dangereux. Qu'il y a quelque chose qu'on ne comprend pas. Une maison, un immeuble, surtout chez nous ici qui construisons tout en béton, a un poids. Et plus il est haut, plus il est lourd. Qu'il est fort probable que la Maetur en imposant les plans de construction dans le quartier avait calculé quelle était la masse au mètre carré que ces sols de marécage remblayés pouvaient supporter. Et qu'en décidant tous de faire des immeubles, on ne se rend pas compte que nous sommes en train de donner une charge plus importante au sol. Que ce dernier va s'affaisser au fil des années. Et vu que nous n'avons même pas de bons systèmes d'évacuation d'eau, cet affaissement du sol risque de se mélanger avec les infiltrations d'eau et provoquer dans quelques années des catastrophes qu'on aurait pu éviter dès aujourd'hui. Surtout que c'est chaque apprenti sorcier qui coule la dalle à sa manière sans avoir forcément les connaissances adéquates.

Comme d'habitude, toutes ces observations m'ont mis en colère. Je me demande comment est-ce qu'on peut systématiquement courir à la catastrophe tout le temps. Comment est-ce qu'on peut poser autant d'actes qui finiront d'une manière ou d'une autre par nous nuire. Et là je t'ai donné 2 exemples, mais rien que cet après-midi dans notre marche, j'en ai compté plus d'une douzaine. C'était à se demander si nous avions même vraiment notre place en ville.

Mais avec du recul, je me suis rappelé que ce n'est pas vraiment de la faute de ceux qui posent tous ces actes. La plupart d'entre eux n'ont aucune idée des conséquences de leurs actes. La plupart n'ont jamais vraiment appris à vivre en société. Beaucoup se sont formés sur le tas. Ils sont juste ignorants. Le problème, c'est tous ceux qui sont instruits, tous ceux qui savent comment les choses marchent, comment les choses devraient se passer, mais qui ne disent rien, ne forment personne.

Nous sommes emprisonnés dans un monde occidentalisé dont nous n'avons jamais reçu le mode d'emploi. Notre meilleure chance de dompter ce monde est de nous le faire enseigner par ceux qui savent comment il marche, ceux qui ont vécu à la source, ceux qui l'ont étudié pendant des années. Sauf que chez nous, comme je le disais dans mon texte d’hier (Pourquoi les efforts seuls ne suffisent jamais), toutes ces personnes ont fui le navire. Et elles sont les premières, comme moi, à se plaindre quand elles constatent des choses de travers. Comme si la population pouvait deviner instinctivement comment les choses fonctionnent.

Nous avons tous à un moment ou à un autre dans notre vie, utilisé un instrument de travers. Mangé un fruit avec sa coque alors qu'il ne fallait pas ou avalé un noyau qu'on n'aurait pas dû avaler. Uniquement parce que nous ne savions pas comment nous y prendre. Certains d'entre nous continuent certainement d'ailleurs à faire quelque chose de travers parce qu'ils n'ont jamais appris le proper way (un coucou spécial à tous mes potes qui boutonnent tous les boutons de leurs vestes). Tu imagines donc à quel point il peut être difficile de savoir intuitivement comment se comporter en tout point dans une société aussi complexe que le modèle occidental dont nous avons hérité.

Tout ceci contribue fortement au choc qui existe entre la diaspora et nous qui vivons au pays. Les gens de la diaspora estiment qu'on ne fait pas assez d'efforts, que nous sommes paresseux, que nous sommes des villageois. Bref, ils wanda sur nous. Mais ce qu'ils semblent tous oublier, c'est qu'avant de partir, ils étaient tous comme ça. Ils ne sont pas des génies. Non ! Ils sont juste des personnes qui ont bénéficié plus que nous autres de la formation au mode d'emploi de ce monde.

Au lieu de se plaindre, crier sur tout le monde et traiter les gouvernements d'incompétents, ils devraient rentrer et former tous les autres. Ce n'est que comme ça que nous deviendrions moins bizarres à leurs yeux. C'est en tout cas ce que j'ai décidé de faire. Rentrer au pays et essayer de former le maximum de personnes possible à ce monde complexe que nous avons hérité des colons. C'est à ça que je mesure le succès ou pas de mon retour au pays. Pas à la quantité d'argent que je peux me faire sur place. Non ! Je le mesure au nombre de personnes à qui j'ai pu apprendre quelque chose. Au nombre de personnes à qui j'ai pu ouvrir les yeux sur un élément qui leur était totalement inconnu. À l'impact que je réussis à avoir sur mes proches, mes collaborateurs, mes lecteurs et même sur les entreprises locales.

Les gens, ils sont têtus certes. Raison pour laquelle, même quand tu leur diras comment bien se comporter en société, ils ne t'écouteront pas. Mais n'oublie jamais que ce comportement est d'abord le fruit de l'ignorance et que c'est à celui qui connaît la voie que revient la responsabilité de guider les autres. Si tu as la chance de faire partie de ceux qui connaissent cette voie, tu sais ce qu'il te reste à faire. Et si tu ne veux pas assumer tes responsabilités, tu ferais mieux de faire profil bas.


Douala 🇨🇲