Tout à l’heure, j’étais avec ma bonne amie Madelle. On mangeait les fameuses brochettes tapioca accompagnées de plantain braisé, avec de l’huile rouge et du sel. Elle en a profité pour me raconter comment le plantain préparé de cette manière était le petit déjeuner préféré de son papa. Le plantain braisé ou le macabo braisé. Si tu es de l’Ouest du Cameroun, tu sais de quoi je parle.
Elle me racontait comment, certains matins, son père appelait une de ses sœurs ou elle pour lui préparer ce petit-déjeuner dont il raffolait. C’était un moment assez émouvant, parce que je sais que son pater nous a quittés il y a quelques années. Et malheureusement, je n’ai pas eu la chance de le rencontrer.
Mais ce qui m’a le plus marqué dans cette discussion, c’est qu’à un moment, j’ai dit :
“Il faut au moins qu’on finisse ce plantain en l’honneur du Pater.” Une phrase banale, même pour toi. Mais relis-la bien. Tu ne trouveras rien d’anormal.
Et pourtant, en y repensant, je me suis souvenu qu’au Cameroun, quand il s’agit de parler des parents des autres, on ne dit jamais “ton Pater” ou “ta Mater”.
Non. On dit simplement “le Pater” ou “la Mater”.
Si tu n’es pas complètement déraciné comme certains mbenguistes, tu te rendras compte que c’est exactement comme ça que tu parles des parents des autres.
Et je pense que c’est une marque de respect très profonde.
Chez nous, les parents sont nos parents à nous tous. C’est une manière de dire qu’ils sont sacrés. Qu’ils appartiennent à la communauté. C’est pour ça qu’on n’ajoute pas de pronom possessif devant.
Et c’est là où j’ai remarqué qu’on était à l’opposé total de la culture occidentale, ou même de certaines familles riches ici, qui veulent être plus blancs que les blancs.
Eux sont persuadés que la vérité est de l’autre côté de la Méditerranée. Leur société repose sur un individualisme aigu, où chacun est en compétition avec l’autre. Et aujourd’hui, on peut déjà voir les dérives que cela entraîne.
Mais chez nous, au Cameroun, on a toujours su vivre ensemble. Le respect des anciens est une règle d’or. Les enfants sont élevés par le quartier. Les douleurs se partagent. Les repas aussi.
Alors peut-être que nos problèmes aujourd’hui viennent du fait qu’on veut s’éloigner de notre nature. Comme un poisson qui essaie de survivre dans la jungle : on suffoque.
Parce qu’on est trop loin de notre élément.
Si toi aussi tu te rappelles que tu dis toujours “le Pater” et “la Mater” — même pour parler des parents des autres — c’est que tu es encore plus africain que tu ne le penses.
Et peut-être qu’il est temps de retourner à cette Afrique qui est en nous. De chercher dans ton quotidien tous ces petits réflexes, ces mots, ces façons de vivre qui sont typiquement nôtres. Car ce n’est qu’en étant pleinement nous-mêmes qu’on pourra apporter quelque chose de nouveau à ce monde. Et ce monde, crois-moi, en a cruellement besoin.
Douala 🇨🇲