"Tout est poison, rien n’est sans poison, ce qui fait le poison c’est la dose." disait au XVIe siècle le médecin et alchimiste suisse, Paracelse. En d’autres termes, n’importe quelle substance peut être toxique si elle est consommée à une dose suffisamment élevée. Même les substances toxiques peuvent être inoffensives ou bénéfiques à des doses appropriées. La dose est donc un facteur crucial dans la détermination des effets d’une substance sur le corps humain.
Je pense que ce concept de dose s’applique aussi aux idées et aux philosophies. Toute idée peut être à la fois remède et poison ; la balance repose sur le dosage. La plupart du temps, ce n’est pas la substance ou l’idée qui est en cause, mais la manière dont elle est dosée. Notre organisme a besoin de sucre pour fonctionner, mais nous en consommons tellement que notre corps n’arrive plus à le transformer en carburant ; il le stocke en graisse et cela finit par nous tuer. Les idées promues par la plupart des religions (des courants philosophiques, comme j’aime à les appeler) ont du sens, jusqu’au moment où elles poussent les gens à tuer d’autres êtres humains en leur nom. Un peu de cannabis, à la bonne dose, est bénéfique pour le corps humain ; mais un excès peut entraîner la démence. Il y a du bon dans presque tout sur Terre. Le défi est de déterminer le bon dosage.
Souvent, quand je parle de l’Afrique qui se vide, certains pensent que je veux empêcher les gens de voyager, que je considère cela comme une mauvaise chose. Au contraire, voyager est, à mon avis, une idée extrêmement bénéfique pour les populations. L’essor de la philosophie grecque et, par ricochet, le développement des peuples d’Occident doit beaucoup aux voyages entrepris en Égypte, au Moyen-Orient et en Asie par les plus grands philosophes grecs. Le voyage vers des contrées lointaines, aussi longtemps qu’on s’en souvienne, a toujours aiguisé l’esprit de ceux qui ont marqué leur époque et leur communauté.
Mais, comme nous l’avons dit plus haut, tout repose sur la dose. Voyager pour voyager devient un poison. Et c’est exactement la situation dans laquelle se trouvent la plupart des Africains aujourd’hui. Nous avons pris l’une des substances magiques du développement et l’avons transformée en poison. Beaucoup d’Africains de la diaspora ne connaîtront jamais les bienfaits du voyage, car trop concentrés à vouloir s’intégrer dans une société qui ne les acceptera probablement jamais.
En environ 22 ans passés en Égypte, Pythagore aurait appris les mathématiques et la géométrie, l’astronomie, la philosophie et la spiritualité, le symbolisme et les mystères ; autant de connaissances cruciales pour le développement de ses idées philosophiques et scientifiques. Nous savons aujourd’hui quelles ont été les répercussions de ces apprentissages sur la société occidentale, et ce, jusqu’à nos jours.
En 22 ans en Occident, l’Africain type passe les 10 premières années à essayer d’obtenir la nationalité du pays d’accueil et les 12 autres à faire savoir aux autres Africains restés au pays qu’il est maintenant américain, canadien ou français. Et aucune année n’est consacrée à apprendre quelque chose qui pourrait lui servir dans son pays d’origine. Par son comportement, il a réussi à dénaturer les bienfaits du voyage, tout comme l’industrie agroalimentaire a transformé le sucre, vital aux êtres humains, en l’un des plus grands poisons de notre espèce.
Quand je dis qu’il faut que nous nous calmions sur le voyage, c’est parce que nous n’arrivons plus à respecter le bon dosage. Ce qui était censé être une idée salvatrice pour nous est en train de nous précipiter vers notre fin. Et quand on n’arrive plus à respecter le bon dosage, la meilleure chose à faire est de se priver de la substance ou de l’idée, au risque d’une mort prématurée.
Toi qui es en Occident, j’aimerais que tu prennes conscience de ta responsabilité dans cette situation. Car oui, quand il s’agit de dosage, nous sommes tous gardiens de nos frères.
Douala 🇨🇲