Tout à l’heure, je suis allé acheter un complément pour ma salade (d’avocats). J’ai décidé de changer un peu et de remplacer le pain ou les gâteaux par des bâtons de manioc, histoire de consommer local et d’encourager les cultures de chez nous. Sachant que le blé est pour la plupart importé, contrairement au manioc.
Quelle ne fut pas ma surprise quand la dame m’a annoncé qu’un bâton coûtait 150F ! Je savais que son prix augmentait depuis un certain temps, mais je ne pouvais pas imaginer qu’il avait déjà atteint de tels sommets.
Pour la même quantité de salade, j’aurais dépensé 100F en pain ou en gâteaux. Pire, il y a 10 ans, j’aurais dépensé au maximum 50F pour ce même bâton et 75F pour la quantité équivalente de pain. En quelques années, le bâton de manioc, produit à presque 100 % localement, est devenu moins compétitif que le pain, produit à 80 % avec des matières importées.
C’est le même sort que subissent la plupart de nos cultures locales. Elles deviennent avec le temps de plus en plus chères par rapport aux alternatives importées. C’est ainsi que nous en sommes venus à manger plus de riz et de pâtes que de macabos et de plantains. Petit à petit, dans un silence olympien, nous sommes en train de perdre toute notre souveraineté alimentaire. Selon toi, que nous restera-t-il quand nous serons totalement dépendants des autres pour manger ?
Tu me diras peut-être que nous ne sommes pas obligés de manger du blé ou d’autres aliments importés, et je te répondrai que tu as raison. Mais lorsqu’il s’agit de faire un choix, l’instinct de survie prend le dessus. Pour des personnes aux ressources limitées, la question n’est pas de savoir quoi manger, mais de pouvoir manger avec les moyens disponibles. Et quand les options les moins chères sont celles d’importation, le choix est vite fait.
Ton devoir, si tu te considères comme un Africain conscient, est de faire en sorte que l’option la moins chère soit une option souveraine et, si possible, saine. C’est la base même de la souveraineté (et non envoyer des satellites dans l’espace). C’est la raison pour laquelle je suis entré dans le business de l’agroalimentaire. C’est la raison pour laquelle j’essaie de moderniser la restauration africaine avec Katering, et la raison pour laquelle, avec Flavien, nous travaillons sur Agrifrika, qui a pour ambition de redonner ses lettres de noblesse à l’agriculture africaine. Parce qu’il n’y a pas de développement sans souveraineté alimentaire.
Il y a quelques mois, dans Les bobolos, je trouvais anormal qu’après tant d’années, il n’y ait toujours pas de vraies marques de bâtons de manioc dans notre pays. Ça t’a peut-être fait sourire, mais cette inflation fulgurante du prix du bâton, le rendant de moins en moins compétitif face au pain, est une conséquence directe de ce manque de marques.
Si l’un de nos parents s’était engagé à créer une marque, il aurait certainement travaillé sur la qualité, amélioré les processus de fabrication, organisé les producteurs et toute la filière manioc, et réalisé des économies d’échelle, ce qui aurait permis de stabiliser le prix du bâton. Et s’il y avait eu quelques acteurs dans cette industrie, ils auraient également pu se disputer les subventions du gouvernement, comme les acteurs du blé, qui reçoivent chaque année des subventions se comptant en milliards de FCFA. En dynamisant le marché, la consommation aurait certainement augmenté, tirant les coûts vers le bas. Mais bon, ils ont préféré importer le blé sans comprendre les enjeux.
Depuis que nous avons commencé l’aventure Le Porc Braisé, les coûts d’achat ont subi une inflation de plus de 20 %. Comme la plupart des concurrents n’ont pas de processus industriels, ils ont répercuté cette inflation sur les clients, augmentant le prix final de plus de 50 %. Le plat de porc braisé, autrefois assez compétitif face à la pizza et au burger, l’est de moins en moins. Que penses-tu qu’il se passera quand un menu McDo ou une pizza de chez Dominos sera moins cher qu’un plat de porc ? Les gens mangeront de moins en moins de porc, et il y aura de moins en moins d’éleveurs.
Notre ambition avec Le Porc Braisé est justement d’empêcher que cela n’arrive. Malgré notre petite taille, notre prix de vente n’a augmenté que de 15 % après l’inflation. Et nous avons fait en sorte que le consommateur final ne ressente pas cette hausse afin qu’il n’y ait aucun impact sur son panier. Nous réussissons ces petits actes de magie parce que nous avons professionnalisé la profession, introduit des processus rigoureux sous une marque forte. À terme, quand nous aurons des centaines de points de vente dans tout le pays, nous pourrons organiser les éleveurs, leur assurant de meilleurs revenus et faisant profiter les consommateurs des économies d’échelle. C’est à cela que sert l’industrialisation, enfin, je crois.
Mais bon, je suis là, j’écris beaucoup, pendant que les descendants des anciens vendeurs d’esclaves sont activement en train de refaire la peinture de leurs boutiques. Apparemment, la nouvelle saison de la loterie américaine commence dans quelques jours.
Douala 🇨🇲