Les pluies des 9 jours et les Biantou

Il faut croire que cette affaire des pluies des 9 jours va en faire couler de l’encre. Bon, c’est plus de l’encre digitale, mais tu vois ce que je veux dire.

Avant-hier, j’ai commencé à te parler des pluies des 9 jours et de la découverte que c’était pour moi. Hier, mon texte portait sur le même sujet. Aujourd’hui, nous allons aller un peu plus loin.

J’avais une réunion de travail avec maman cet après-midi et je lui ai parlé de ma découverte. Je lui ai demandé si elle en avait déjà entendu parler.

Avant d’aller plus loin, je voudrais que tu saches que ma maman fait partie des personnes que je connais avec une humilité intellectuelle très forte. Elle connaît un tas de trucs mais il faut aller les chercher en elle. Elle viendra rarement te parler d’un sujet si l’occasion ne se présente pas. Mais des fois quand tu lui poses une question, elle se lance dans une histoire tellement intéressante que tu te demandes comment ça se fait qu’elle ne te l’ait jamais racontée plus tôt. Et si tu es un fan de savoir et d’anecdotes comme moi, ces histoires sont capables de t’arracher une larme. Je me demande comment j’ai pu vivre près de 15 ans aussi loin d’elle. Les années de ma vie avec le plus fort potentiel d’apprentissage. Bref, on va essayer de se rattraper du mieux qu’on peut.

Alors, par rapport aux pluies, elle m’a dit que c’était vrai, m’a confirmé le nombre de jours, 9 et non 7. Que ça arrivait chaque année. Et qu’à la fin, ces crevettes dont je te parlais hier sortaient de l’eau. Elle m’a rappelé leurs noms (en langue locale), “les Biantou”. Je vais faire des recherches sur l’orthographe exacte plus tard. Elle était tellement éloquente sur le sujet au point où je me suis demandé comment j’ai pu passer à côté de ça durant toutes ces années.

Je lui ai demandé si on en trouverait donc sur les marchés la semaine prochaine. Elle m’a répondu que certainement. Et que souvent ils en vendent même à côté du pont, le pont du Wouri. Je lui ai demandé si elle en avait déjà mangé et elle m’a répondu que non. Apparemment, il y a plus de 40 ans quand elle travaillait dans un cabinet d’avocats, une de ses collègues Douala avait ramené ça après les pluies justement. Ça ne présentait tellement pas bien que ça l’a dégoûtée et elle n’a jamais essayé. Bon, à ce niveau, il faut que je précise que ma mère est une excellente cuisinière. Et tout comme moi, elle a le palais très capricieux.

Ensuite, elle m’a dit que c’était un poisson de la sorcellerie des Douala. Ah, il ne fallait pas. L’héritage colonial avait pris le dessus dans son argumentaire. Je lui ai dit que c’était dommage de dire et même de penser ça. C’était à mon tour de lui faire la leçon. Et contrairement à elle, quand je connais quelque chose, ça sort vite. Je n’attends pas la permission.

Je lui ai dit que c’est avec ce genre de petites remarques que les colons ont réussi à nous diviser, à nous monter les uns contre les autres. Je lui ai dit que la plupart du temps je vois des noirs dénigrer des plats d’une autre tribu mais presque jamais des plats importés. Je lui ai rappelé l’histoire du Taro, “Achu” pour les connaisseurs, qui n’était mangé avant presque exclusivement que par les Anglophones et les Bamilékés. Je lui ai dit comment la plupart de mes amis qui étaient d’autres tribus parlaient de ce plat avec mépris. Mais aujourd’hui il est devenu un plat national, presqu’au même titre que le Ndolè. Certainement aidé par la crise anglophone qui a vu converger vers la zone francophone la plupart des habitants de la classe moyenne supérieure de la zone anglophone. Et comme tout le monde veut faire comme les riches, le Taro a directement pris de la valeur. Bon après, ça c’est mon analyse.

Néanmoins, je lui ai rappelé que si les Biantou sont chez les Douala, c’est que c’est chez nous, c’est au Cameroun. Et qu’au lieu de les regarder à distance, nous devrions les embrasser. Et si la recette que les Douala proposent n’est pas appétissante, nous pourrions l’améliorer. Histoire de mettre en valeur notre pays.

En tout cas, la semaine prochaine je mange des Biantou. Bon ou pas, je me dois de les goûter. Ça ne peut pas être pire que des mollusques vivants (huîtres) ou des œufs de poisson (caviar) que les autres ont mis sur un piédestal. Le tout c’est comment est-ce qu’on le positionne dans la tête du consommateur.

Ne rate pas les textes de la semaine prochaine pour la chute de notre histoire et peut-être des photos de nos fameux Biantou, poissons ou crevettes. Et qui sait, je pourrais prendre la décision de travailler sur un projet Biantou avec Katering. Un projet qui nous verrait faire un espèce de restaurant éphémère une fois par an juste pour honorer ce fruit de mer de chez nous. Car si nous ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place.


Douala 🇨🇲 (Land of Good Food)