Il y a quelques semaines, j’ai publié plusieurs textes où je parlais de ces crevettes qui ont donné son nom au Cameroun. [Ici], [ici] et [ici]. J’ai voulu creuser un peu plus le sujet avec une amie Douala, qui m’a dit qu’elle en parlerait dans sa communauté pour en savoir davantage. L’objectif est de nous rapprocher de notre culture et de la valoriser au mieux. Après tout, ailleurs, certains ont réussi à nous convaincre que les œufs de poisson étaient une délicatesse. Pourquoi ne pas faire de même avec des espèces uniques à notre territoire ?
Aujourd’hui, nous avons un peu avancé dans les recherches. Enfin, surtout elle. Elle m’a transmis un texte qui en dit un peu plus sur Biantou “Mbeatoè”. Je te le partage en avant-première.
SUR LE CRUSTACÉ AUQUEL LE CAMEROUN DOIT SON NOM (CALLIANASSA TURNERANA WHITE) MBEATOÈ HU-HU MBEATOÈ SANJA !
Cette année encore, le phénomène extraordinaire qui est très certainement à l'origine du nom Cameroun (Riv. Camerones, Camaroes, River Cameroons, Kamerun, Cameroun) s'est produit.
On assiste en effet, dans la baie de Douala, à l'apparition saisonnière de quantités prodigieuses de ces "prétendues" crevettes, qui pourtant sont des Callianasses. La pêche des "Mbea Toe" (Callianasses) est une réjouissance pour le peuple Douala. Elle a lieu en pleine saison des pluies, au mois de septembre. "Le mbeatoè" est censé amener la pluie "mbua mbeatoè ni".
Toute la migration de ces Callianasses se passe en eau douce. Celle-ci commence, disent les anciens, à Djebalè, où se trouve la maison des “mbeatoè”. Elles passent vers la Dibamba, en particulier par la crique Pisu'a Loba après Yapoma. D’autres "mbeatoè" iraient dans le delta du Mongo, vers Bojongo et Bwadibo. La route continue sur le Wuri, et ainsi de suite. Le phénomène dure, semble-t-il, de trois jours à une semaine.
La pêche de cette manne venue de l'au-delà est une fête importante. À marée montante ou descendante, les mbeatoè se ramassent à la main. On n’utilise pas le filet à crevette "Ngolo" pour cette pêche, et seuls les hommes y sont admis. Elle n’a lieu que le soir et la nuit. S'il n'y a pas de pleine lune, on emporte des flambeaux. Il est coutume de faire du bruit, de pousser des cris et d’agiter les flambeaux durant cette pêche miraculeuse. "HU - HU ! HU - HU ! A MBEATOÈ HU-HU ! A MITOKÈ MI MIKAMBA HU - HU ! A MBEATOÈ SANJA !"
À partir de ce moment et pour toute la durée de la pêche, une trêve tacite, consacrée par la coutume, s'établit entre les pêcheurs. Les distinctions sociales sont abolies pour un moment, et le moindre habitant du village peut impunément insulter le chef et les notables à haute voix.
Les anciens pensent que ces mbeatoè (Callianasses) sont envoyés par "l'homme d'eau" (Le Jengu) : BUSA ! BUSA ! BUSA ! BUSA ! Cette formule est indispensable à la réussite de la pêche. Paniers pleins, la foule grouillante des pêcheurs regagne les villages : Djebalè, Deido, Akwa, BonaBedi, Youpwè, etc.
Au rivage, les femmes les attendent avec joie et se chargent des paniers. N'importe qui peut se présenter à l'arrivée des pirogues et obtenir sa part du festin.
Le mbeatoè (Callianasse) mâle n'est jamais consommé seul, contrairement à la femelle. Il contient un principe irritant qui pique la gorge (Ekedikedi). Cependant, son huile est bonne et vertueuse (Mula ma mbeatoè).
M. Th. MONOD
Bulletin du Muséum national d'histoire naturelle.
Les investigations se poursuivent.
Douala 🇨🇲