C’est quoi le travail au juste ?
Ce matin, en route pour le bureau, je suis passé devant un carrefour que j’emprunte quotidiennement. Et comme la plupart des matins, il y avait des femmes assises en train de discuter entre elles. Visiblement en train d’attendre. Certainement en train d’attendre qu’un employeur vienne leur proposer du travail pour la journée.
C’est un phénomène dont j’avais entendu parler pour la première fois dans un documentaire en France. Dans certains départements d’Île-de-France, chaque matin, des hommes venaient se poster à certains carrefours en espérant être recrutés pour des tâches journalières. Souvent des hommes immigrés. Et la plupart du temps, ces tâches étaient dans le bâtiment.
Si ces femmes sont postées là chaque matin comme je les vois tous les matins, ça veut certainement dire que de temps en temps, elles réussissent à se faire embaucher pour la journée. Mais si je me fie au regard qu’elles ont toutes sur leur visage quand je passe dans le coin, je dirais que cette façon de faire n’est pas optimale et je parierais qu’elles ont plus de jours sans que des jours avec.
La question qui m’est venue à l’esprit en passant par là aujourd’hui était : “Comment, dans un pays comme le nôtre où tout est à faire, les gens peuvent manquer de travail au point de passer des journées entières à espérer dans des carrefours ?” Et je me suis rappelé d’une phrase que je dis souvent : “Les gens qui nous ont vendu la notion de l’argent ne nous ont pas aidés.”
Le problème que nous avons, je pense, est que nous avons associé le travail à de l’argent, à une rémunération. Chez nous, on ne travaille pas pour fournir un résultat, mais pour avoir de l’argent, parce qu’on en a besoin. Du coup, nous sommes entourés d’opportunités et de problèmes à résoudre, mais vu qu’il n’y a personne qui nous garantit qu’il nous paiera si on résout ces problèmes, on n’y touche pas. On préfère rester au quartier et traiter le gouvernement de tous les noms.
Le travail n’a rien à voir avec l’argent. Le travail, c’est le cœur de la survie de toutes les espèces. Chercher à manger, c’est travailler. Se reproduire, c’est travailler. Savoir reconnaître le bon partenaire pour se reproduire demande du travail. Se protéger des autres et des cataclysmes de la nature, c’est travailler. Travailler, c’est ce que toutes les espèces font tous les jours pour continuer d’exister.
Contrairement aux autres espèces, nous les humains avons complexifié notre mode de vie. Et pour l’entretenir, ça requiert beaucoup plus de travail. L’une des raisons, selon moi, pour lesquelles nous continuons chaque année à creuser l’écart avec les autres espèces en terme de supériorité. Nous travaillons beaucoup plus et de façon beaucoup plus diversifiée.
Cependant, ce travail n’a rien à voir avec une rémunération. La rémunération est l’incentive que nous avons inventé pour pousser les uns et les autres à travailler beaucoup plus. Cette rémunération du travail n’existe que dans des sociétés hautement complexes comme celle des êtres humains — et quelques autres types d’animaux d’ailleurs.
Mais la rémunération ne devrait en aucun cas nous empêcher de travailler. Et c’est le gros problème que je constate dans certains pays d’Afrique — et d’ailleurs en réalité. Sans rémunération, des personnes ne travaillent plus, alors qu’en fait, travailler est vital pour eux.
Si nous prenons le cas de nos sociétés rurales. Dans ces contrées, beaucoup de personnes travaillent encore très dur. Et sans argent. Chaque matin, elles se lèvent tôt et travaillent pour se nourrir, travaillent à se prémunir des dangers de la nature. Et souvent, elles le font pendant plus de 10 heures de leur journée. Sans espérer une rémunération quelconque.
Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas que nous confondions les choses. Nous vivons aujourd’hui dans une société assez complexe en Afrique. Nous pouvons peut-être manquer d’opportunités de travail rémunéré, mais nous ne pouvons en aucun cas manquer d’opportunités de travail. Le travail est venu avant la rémunération, et il serait bête d’arrêter de travailler parce qu’il n’y aurait plus de rémunération.
Et c’est cette mentalité que nous pouvons observer même chez ceux qui ont un travail rémunéré. La plupart pensent que leur travail consiste à se pointer au lieu de service, alors qu’il n’en est rien du tout. Ce qui justifie ton travail, ce n’est pas le temps que tu passes en service, mais le résultat que tu produis.
Et pour produire ce résultat, nous n’avons pas besoin d’attendre à des carrefours que des personnes veuillent bien nous choisir. Il y a tellement de problèmes à résoudre qu’il suffirait juste d’en choisir un et de se concentrer dessus. Si c’est un problème rencontré par un certain nombre de personnes et que tu y apportes une bonne solution, tu ne tarderas pas à avoir une rémunération.
Et si tu n’as pas les outils qu’il faut pour résoudre les problèmes autour de toi, sache que se former, apprendre, c’est aussi travailler. Chaque action que tu mènes pour améliorer tes procédés, ta façon de travailler, c’est du travail. Nous n’avons donc aucune raison de ne pas travailler. Nous pouvons ne pas avoir de travail rémunéré pour le moment parce que la rémunération se fait rare, mais nous ne pouvons pas dire que nous ne trouvons pas de travail. Pas avec tous les problèmes qui persistent dans nos sociétés. Pas avec tout le potentiel d’apprentissage devant nous.
Moi, je fais partie de la catégorie des personnes qui passent leur vie à travailler. Et d’ailleurs, je ne crois pas au concept de la retraite, que je ne prendrai jamais. Je te parlerai peut-être dans un futur texte de ma vision de l’organisation du travail autour de l’âge. Une approche totalement différente de ce que le monde capitalistique nous propose aujourd’hui.
Contrairement à beaucoup de nos frères qui ont décidé de faire des boulots de planque où ils n’ont pas grand-chose à faire et sont fortement rémunérés, moi j’ai toujours fait le choix de travailler beaucoup. De travailler sur nos problèmes à nous, quitte à ne pas être rémunéré. Car comme je te l’ai dit plus tôt, le travail précède la rémunération. Pas le contraire.
Tu me diras : “Mais Ronel, l’homme doit se nourrir.” Et je te dirai : “Oui, mais pas au détriment du travail. Du vrai. De celui qui nous élève dans la société. De celui qui a fait en sorte que pour certains peuples, se nourrir n’est plus un problème du tout.”
Si au moment où tu lis ce texte, tu es au chômage ou bien tu sais que tu ne fais pas assez par rapport au travail, je t’invite à reconsidérer les choses et à te mettre au travail sérieusement. Tu pourrais par exemple écrire un texte par jour comme moi. C’est un travail, certes non rémunéré, mais qui contribue à élever notre société. Et qui sait, tu inspireras peut-être un de tes lecteurs à trouver la solution à notre misère.
See you at work, comme dit souvent mon ami, le fondateur de Dikalo, Alain Ekambi.
Douala 🇨🇲