Le Seigneur est vraiment merveilleux. Enfin, le Seigneur de tous ceux qui sont en semaine sainte actuellement. C’est comme s’il avait décidé cette semaine d’utiliser l’humble serviteur que je suis pour te rappeler un message que j’essaie de te passer depuis, mais que tu refuses de comprendre.
Oui, oui, il m’utilise pour te convaincre de m’écouter. Bizarre, hein ? Mais qu’est-ce qu’on y peut, les voies du Seigneur sont insondables.
Je ne sais même plus ce que je faisais ce matin, mais je suis tombé sur ce qui va être l’histoire que je vais te raconter dans ce texte. Ce n’était pas du tout le sujet que j’avais prévu pour toi aujourd’hui.
Nantenin Keïta.
Je suppose que ce nom ne te dit pas grand-chose. Et pourtant, c’est une grande championne olympique. Paralympique, pour être plus précis. Médaillée d’or, d’argent et de bronze aux Jeux paralympiques, comme aux championnats du monde d’athlétisme. Sa spécialité ? Le 400 mètres. Bien qu’elle ait aussi raflé des médailles en 100 et 200 mètres.
Tu te demandes peut-être quel est son handicap. Elle est atteinte d’une déficience visuelle importante (0.7 et 0.8 dixièmes aux yeux, avec distinction des couleurs et des distances). Bref, elle est malvoyante.
Tu l’as peut-être vue à la télé l’année dernière. Elle était l’un des deux porte-drapeaux de la délégation française aux Jeux paralympiques de Paris 2024. Tu l’auras compris, elle est française. Plus précisément franco-malienne. Tu ne l’as peut-être pas considérée comme une enfant d’Afrique pendant son passage, parce que son handicap est lié à un trait génétique : l’albinisme.
Nantenin est née au Mali et a immigré en France avec ses parents à l’âge de deux ans, parce que, selon ses dires, l’albinisme était très mal perçu dans son pays, et que les albinos étaient, je cite : “pourchassés et tués.”
Comme la plupart de nos enfants partis d’Afrique, elle s’est vite intégrée dans ce nouvel environnement qu’est l’Occident, l’eldorado. Je ne connais pas toute la suite, mais elle a sûrement acquis la nationalité française avec ses parents, ou elle l’a demandée une fois adulte. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, elle est plus française que malienne, et contribue à redorer le blason et le palmarès de la France. Tandis que le Mali, ben… on s’en fout un peu.
Tu me diras : si elle était restée au Mali, elle ne serait sûrement pas devenue championne d’athlétisme. Peut-être. Tu me diras aussi qu’on l’aurait peut-être tuée. Peut-être. Ce sont les arguments que nous utilisons tous les jours pour justifier le fait de retirer nos bénédictions africaines pour les offrir à d’autres.
Elle n’aurait peut-être pas gagné de médailles, mais elle aurait peut-être inspiré toute une génération. Elle aurait pu contribuer à tracer la voie pour les futurs champions maliens.
Aujourd’hui, le Mali est toujours à la même case de départ qu’il y a 40 ans, quand elle est née. Parce que ses parents — et elle — ont décidé que c’était plus simple en France.
Mais le problème, c’est que Nantenin n’est pas n’importe quelle fille d’Afrique. Nantenin est issue d’une très grande famille malienne, certainement l’une des plus puissantes du pays : la dynastie Keïta. De Soundiata Keïta, le fondateur de l’empire du Mali.
Nantenin est la fille du célèbre musicien Salif Keïta, lui aussi albinos, connu dans le monde entier comme “La Voix d’Or de l’Afrique.”
Non, Nantenin n’était pas un enfant ordinaire. Elle n’aurait pas été tuée à cause de son albinisme. Elle avait les moyens de s’entraîner avec les plus grands au Mali. Et même arrivée en France, elle n’était pas obligée de courir pour la France. Elle pouvait y vivre, s’y entraîner, et porter les couleurs du Mali, envoyer un message d’espoir à tous les albinos africains.
Ce texte n’est pas un procès contre elle. Je ne la connais pas. Je me base uniquement sur ce que j’ai pu lire. Mais ce texte est un rappel, pour toi, pour nous : nous ne sommes pas maudits. Nous avons des talents. Des bénédictions.
Ton Dieu a mis ici tout ce qu’il faut pour que ton peuple se développe. Le problème, c’est que tu dis croire en lui, alors qu’en réalité, tu utilises son nom pour justifier ton immobilisme. Et tu cries à la fatalité dès que tu es mis à l’épreuve.
Demain, tu auras oublié le nom de Nantenin. Mais si elle avait été la championne malienne albinos qui milite pour faire évoluer nos mentalités, tu t’en souviendrais. Comme tu te souviens de son père, qui n’a jamais cessé de chanter en langues africaines, la gloire de l’Afrique, même après 40 ans en France.
Nous ne sommes pas aussi avancés que les autres. Mais nous ne sommes pas damnés. Nous sommes juste plus bas sur le chemin. Mais si nous continuons de prendre nos 10/10 ici pour les transformer en 6/10 ailleurs, jamais nous ne sortirons la tête de l’eau. Il est temps qu’on ouvre les yeux. Qu’on arrête d’être envieux, et qu’on accepte de payer le prix pour notre propre relèvement.
En passant, si tu as lu mon texte d’hier : “La phrase de fin, 'Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain…’”. Ce n’était pas de moi. C’est le dixième commandement. C’est tiré de la Bible, ton livre préféré. Que j’ai probablement lu plus que toi.
Amen, amen.
Douala 🇨🇲