Liberté d'expression : apprendre à se battre plutôt que de spéculer

"La plus grande honte pour un homme n'est pas de tomber, mais de tomber deux fois dans le même piège." – Proverbe africain.

Maintenant qu'il est de retour et qu'il semble aller bien, as-tu tiré les leçons de tes erreurs ? Comment te prépares-tu à faire face à une prochaine tentative de restreindre ton droit fondamental à la liberté d'expression ? Vas-tu apprendre les rouages et la discipline de l'écriture pour pouvoir raconter une histoire fictive dont tout le monde connaîtrait les protagonistes, afin d'être prêt la prochaine fois qu'un prince cherchera à abuser de son pouvoir pour te faire taire ?

Car si, après tout cela, tu te retrouves encore une fois dans la même situation où l'on t'a forcé à être il y a quelques jours, tu serais une honte pour le peuple africain.

Et en passant, spéculer sur la mort de quelqu'un, même s'il s'agit du pire ennemi de l'humanité, ne fait de toi qu'un charognard. Lâche, opportuniste malsain, parasite social et suiveur médiocre, dépourvu de toute prise d'initiative. La prochaine fois que tu voudras exprimer ton désir ardent de changement, il faudra penser à te retrousser les manches plutôt que d'espérer que les autres fassent le travail pour toi, y compris la nature.


Douala 🇨🇲 

Partir ou rester : une question de responsabilité envers nos proches

Il y a quelques mois, je suis tombé sur un ami d’enfance avec qui j’ai pris un peu de temps pour discuter. Comme la plupart de mes amis d’enfance, il m’a félicité pour le fait que j’ai réussi à « ranger » mon frère. Apparemment, ils sont tous impressionnés par la personne qu’il devient et attribuent ce changement à mon retour au pays.

Il m’a aussi parlé de son père, malade et atteint d’une maladie du foie. Il m’a expliqué qu’il n’y avait qu’un seul hépatologue à l’hôpital Laquintinie, où son père était interné, et que ce dernier était tellement surbooké qu’il était presque impossible de suivre un patient normalement. Heureusement pour lui, nous avons un grand-frère du quartier qui, après ses études de médecine en Afrique de l’Ouest et quelques stages en France, est retourné exercer au Cameroun. C’est lui qui essayait d’analyser les résultats d’examen du père et de lui indiquer la démarche à suivre.

Il en était tellement reconnaissant. Sans ce grand-frère, comme il l’a dit lui-même, il ne savait pas ce qu’il aurait fait. Rester dans le noir, sans informations, alors qu’on a un proche qui souffre le martyre, ce n’est pas facile.

Plus loin dans la conversation, il m’a encore demandé pourquoi j’étais rentré au pays. Comment, alors que tout le monde veut partir, moi, je suis en train de rentrer. J’ai d’abord fait une pause, me demandant si les gens s’entendent même parler dans ce pays.

Je lui ai dit que s’il faisait une petite recherche sur Google, il se rendrait compte qu’en région parisienne seulement, il y a au moins une vingtaine d’hépatologues d’origine camerounaise. Que pendant que son père est en train de mourir ici, des Camerounais comme moi préfèrent rester en Occident pour soigner les parents des autres. Je lui ai demandé comment il aurait fait si ce grand-frère aussi avait décidé de rester en France. Et j’ai fini par lui rappeler que s’il est aussi impressionné par la nouvelle trajectoire de mon frère, c’est aussi peut-être parce que j’ai choisi de retourner auprès des miens pour montrer la voie.

Je lui ai demandé s’il s’était déjà posé la question de savoir ce qui arriverait quand nous serons tous partis. Quand tous les médecins, tous les ingénieurs, tous les artisans, tous les artistes seront partis. Que deviendront notre pays, nos parents, nos familles, nos amis ?

Et à toi, Africain, qui lis ce texte depuis l’Occident, je te pose la même question. À ton avis, qui rendra à ta famille ici au pays le service que tu es en train de rendre aux familles des autres là-bas ?


Douala 🇨🇲 

Langue et identité : un petit geste qui fait toute la différence

Tout à l’heure, j’étais sur la moto, et nous avons eu une crevaison. Le chauffeur, un gars du Nord (les Babana, comme on aime les appeler), a dû s’arrêter pour que je prenne une autre moto. Il arrêtait les motos qui passaient pour organiser mon transfert.

La première chose qui m’a frappé, c’est qu’il leur parlait directement en langue (leur langue), comme s’il avait une façon précise de savoir si le chauffeur parlait cette langue. Sur les cinq interpellés, il n’y en a qu’un seul qui ne la parlait pas, sûrement un chauffeur qui n’est pas originaire du Nord.

Tu me diras peut-être que c’est facile de les distinguer, mais crois-moi, ce n’est pas si simple. Même moi, qui ai un sens aigu de l’observation, je ne pourrais pas parier sur un score de plus de 50 % si je devais m’essayer à l’identification. Pourtant, j’ai vécu trois ans au Gabon, un pays où tu développes rapidement l’expertise pour déterminer l’origine des gens que tu rencontres, même pour la première fois.

Mais l’histoire d’aujourd’hui ne tourne pas autour de l’identification. Non ! Il s’agit de la langue. Aussitôt que le chauffeur interpellait un autre, il lui parlait dans leur langue (dont je ne connais pas le nom, malheureusement). Il a négocié mon transfert devant moi sans que je ne comprenne un seul mot. Et c’est une habitude assez courante chez eux. Ils se parlent toujours dans leur langue.

Je me suis alors demandé comment cela se fait-il que je monte tous les jours sur des motos, que ces chauffeurs fassent partie de ma vie d’une manière ou d’une autre, et que je ne puisse même pas dire "merci" dans leur langue. Pourtant, je travaille mon anglais tous les jours, je parle italien, et je prévois d’apprendre le chinois ainsi que d’autres langues occidentales.

Je me suis aussi demandé quelles langues locales je parlais, en dehors de la mienne. Et là, j’ai réalisé que je ne suis pas très différent de ces pleurnichards de la diaspora africaine qui font des pieds et des mains pour être considérés comme des Français de souche.

La moindre des choses serait d’apprendre les langues des personnes avec lesquelles je passe le plus de temps. Les personnes qui partagent ma réalité. Les personnes qui pourraient être les premières à me porter secours si quelque chose m’arrive. Mais non, nous préférons jouer aux petits blancs avec les têtes vides.

Bref, il va falloir que j’arrange tout ça. C’est ça aussi, le leadership.


Douala (Babana City) 🇨🇲 

Sortir de la bulle occidentale pour comprendre vraiment le monde

Quand je discute avec certaines personnes de la diaspora, je ressens souvent une espèce d’arrogance alimentée par le fait qu’elles vivent en Occident et ont souvent voyagé dans d’autres pays occidentaux ou leurs anciennes colonies en Afrique. Parce qu’elles ont visité une vingtaine de pays et parlent souvent deux ou trois langues, elles pensent bien connaître le monde.

Certaines justifient cette petite condescendance en suivant assidûment les informations, en s’assurant de lire les médias de gauche et de droite pour avoir les avis des deux camps. Et moi, la question que je leur pose souvent est : combien de temps as-tu vécu en Asie ? Combien de langues asiatiques parles-tu couramment ? Parce que sur les 8 milliards d’habitants vivant sur Terre, l’Asie en compte presque 5 milliards. Plus de 62 %. En d’autres termes, plus de 3 personnes sur 5 sur Terre vivent en Asie, dont deux en Chine ou en Inde.

Quand tu te considères comme un expert de la planète, quand tu penses savoir ce qui est bon ou pas, quand tu prétends connaître les us et coutumes de l’humanité, sur quoi te bases-tu si tu ne sais pas ce qui se passe dans la plus grande partie du monde ?

Ces mêmes personnes, avec leur soupçon de condescendance, ne savent souvent même pas ce qu’est une agence de presse. Beaucoup d’entre elles ignorent que la plupart des informations relayées dans les journaux proviennent de quelques agences de presse dans le monde. Des agences financées par des États et qui, la plupart du temps, présentent les informations dans l'intérêt de leurs financeurs. Tu en connais certainement quelques-unes très célèbres si toi aussi tu es nourri au discours occidental : Reuters (Royaume-Uni/Canada), Associated Press (AP) (États-Unis) ou encore l’Agence France-Presse (AFP) (France). Les trois plus puissantes en Occident, à l'origine de la majorité des informations que l’on peut lire dans ces pays.

Mais la plupart des pays du monde ont leurs propres agences de presse, toutes aussi influentes dans leurs régions. On peut citer, par exemple, Sputnik (Russie), qui fait l'objet de restrictions dans certains pays, notamment l'Union européenne qui a interdit sa diffusion en 2022 après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Xinhua News Agency (Chine), Press Trust of India (PTI) (Inde), Agencia Brasil (Brésil), Islamic Republic News Agency (IRNA) (Iran), ou encore la Korean Central News Agency (KCNA) (Corée du Nord), pour ne nommer que celles dont on entend rarement la version des faits et que l’on nous présente souvent comme les méchants.

Tu ne peux pas te targuer de connaître le monde si, toute ta vie, tu n’as vécu que dans une bulle, si tu ne parles que des langues issues de cette bulle, et si tu n’as jamais fait l’effort de voir ce que les autres disent. Parce que oui, qu’on le veuille ou non, ces autres que nous avons tendance à négliger sont plus représentatifs de la population de la Terre que nous ne l’imaginons.

La prochaine fois que tu voudras faire le malin, j’espère que tu te rappelleras à quel point tu peux être ignorant. La prochaine fois que tu voudras apprendre une nouvelle langue, j’espère que tu réfléchiras à deux fois avant de la choisir. La prochaine fois que, comme un mouton, tu voudras lancer la pierre sur l’ennemi désigné par ton journal favori, j’espère que tu prendras la peine de lire l’autre version des faits. Et pas celle fournie par le même fournisseur à un autre journal.


Douala 🇨🇲 

L’hygiène alimentaire, un défi à relever au Cameroun

Aujourd’hui encore, j’ai eu une discussion super intéressante avec ma mère, en marge de notre séance de travail. Franchement, si tu as la possibilité de vivre près de tes parents et surtout de travailler avec eux, je te recommande vivement de le faire. Il n’y a pas que l’argent dans la vie.

Comme d’habitude, nous avons parlé de beaucoup de choses : des histoires de famille, de sa jeunesse, des événements qui se sont passés avant et après ma naissance, mais aussi des anecdotes sur notre secteur d’activité, la restauration.

Elle m’a raconté comment elle a été dégoûtée de la viande hachée il y a des décennies, alors qu’elle travaillait dans une grande poissonnerie-boucherie de la place (qui n’existe plus d’ailleurs). Elle m’a expliqué qu’ils avaient deux types de viande hachée à des prix différents. La première était de la viande de bœuf importée (oui, on importait déjà de la viande de bœuf à cette époque), et la seconde était constituée de tous les déchets de viande qui restaient au congélateur. Le patron avait décidé d’en faire un produit pour maximiser les gains. Depuis cette période, elle n’a plus jamais mangé de viande hachée à moins d’avoir participé au processus de hachage.

Je lui ai dit que c’était justement la nourriture que nous consommions à l’extérieur qui nous tuait dans ce pays. Elle m’a raconté l’histoire d’une vendeuse de beignets qui ne mangeait jamais ses propres produits, préférant ceux de sa voisine car elle savait dans quelles conditions elle les préparait. Elle a aussi évoqué le piment pourri que les vendeurs de nourriture achètent pour faire leur sauce, un piment tellement décomposé qu’il est impossible de le laver correctement.

Bref, nous avons fait notre petit kongossa sur les conditions de préparation des repas que nous consommons dans la rue et dans certains restaurants. Au nom de l’argent, certains sont prêts à vendre du poison à leurs clients. On se plaint tous les jours du gouvernement, alors que nous sommes en train de tuer notre immense patrimoine culinaire pour des miettes.

L’une des raisons pour lesquelles nous nous battons chaque jour avec Katering pour faire avancer les choses, même difficilement, c’est justement pour permettre à tous les Camerounais de pouvoir manger sans crainte dans la rue. De pouvoir savourer leurs repas l’esprit tranquille, sachant que toutes les conditions d’hygiène ont été respectées, de la qualité des produits choisis à l’emballage final. C’est l’humble mission que nous nous sommes donnés. Si tu me cherches sans me voir, c’est parce que je suis concentré à résoudre ce problème.


Douala 🇨🇲 

Le complexe du colon

“Tous les Hommes naissent égaux, au moins à l'intérieur.
Les Blancs aussi naissent égaux, mais égaux supérieurs.”

Ces vers sont extraits de la chanson de Youssoupha, Mon Roi.

Aujourd’hui, j’ai eu une séance de travail avec un bon ami. Nous travaillions sur mes valeurs, et je devais lui donner deux exemples de Camerounais qui m’inspirent, ainsi que les traits particuliers que j’apprécie chez ces personnes.

J’ai cité Eto’o, pour son courage et son patriotisme. Cette capacité qu’il a à se faire respecter, à ne jamais se laisser écraser. J’ai raconté à mon ami qu’Eto’o avait un jour rappelé à Guardiola qu’il n’avait jamais été un grand joueur, juste un bon joueur, mais pas un grand.

Je lui ai parlé de cette tendance qu’ont les Noirs à s’écraser devant les Blancs. C’est l’une des choses qui me dégoûtent le plus chez les Noirs en Occident. Certains Blancs, de façon hypocrite, en profitent. J’appelle ça le complexe du colon (qui est en réalité un complexe de supériorité). Un complexe qui continue d’exister parce que beaucoup trop de Noirs sont dépourvus de fierté, préférant être des esclaves en Occident plutôt que des chefs chez eux, en Afrique.

Tout cela m’a rappelé la punchline de Youssoupha citée plus haut. Nous avons écouté la chanson en entier, et je me suis dit que tu aimerais peut-être l’écouter toi aussi.



Douala 🇨🇲 

Les petits détails qui nous coûtent cher

Aujourd’hui, j’aimerais parler de quelque chose que j’ai remarqué chez nous, les Africains, et qui me sort vraiment par les narines. Ce n’est peut-être pas grand-chose pour la plupart d’entre nous, mais je me bats avec mes gars tous les jours pour qu’on en sorte.

Depuis quelques jours, je traverse une phase où je ne suis pas très bien. Dans ces moments-là, j’essaie de m’accrocher aux petites choses comme mes routines quotidiennes (lecture, sport, challenge en cours, etc.). Malheureusement, mon alimentation en prend aussi un coup, et mon péché mignon, ce sont les gâteaux beurre-chocolat. Si tu es un vrai Camerounais, tu sais de quoi je parle.

Donc, cette semaine, j’ai dû faire quelques tours chez les boutiquiers du coin pour me procurer mes doses. En moins d’une semaine, un boutiquier m’a dit deux fois que le chocolat était fini (sachant qu’entre les deux fois, il y en avait). Un autre m’a dit qu’il n’avait plus de beurre.

Je ne sais pas pour toi, mais ce sont des choses que je n’arrive pas à comprendre. Comment le chocolat ou le beurre, que tu vends à la cuillère, peut-il finir ? Ce sont des produits sur lesquels tu fais une marge importante, et qui sont rarement en rupture de stock chez les fournisseurs. Pourquoi ne pas toujours avoir au moins un seau de réserve ? Je ne comprends pas !

Cela m’a fait penser à nos mamans, qui, quand on était plus jeunes, nous envoyaient chercher du gaz en plein milieu de la cuisson d’un repas. Si tu sais que certains plats sont délicats et que les vendeurs de gaz ne sont pas ouverts 24h/24, pourquoi ne pas avoir une bouteille de secours ? La probabilité que les deux bouteilles finissent au cours d’une même cuisson est quasi nulle. Si tu t’en souviens, j’avais calculé qu’une bouteille de 13kg pouvait brûler pendant environ 80 heures.

C’est un problème que je rencontre aussi avec mes équipes tous les jours. “Pourquoi il n’y a pas de gamelles pour les grands plats ?” “C’est fini !” Comment cela peut-il finir si nous avons une estimation exacte du nombre de grands plats que nous vendons par jour, et qu’il suffit de s’assurer d’avoir toujours au moins cinq jours de réserve ? Mais bon, apparemment, c’est tellement normal que ça ne gêne plus personne.

Quand je discute avec les gens, ils se plaignent du gouvernement, de la colonisation, ou des autres. Mais est-ce que tu t’es déjà demandé si tu réussis à gérer les petits détails de ta vie ? Ne plus te laisser surprendre par ce qui est prévisible. Si ce n’est pas le cas, je te conseille de retourner travailler sur toi avant de te plaindre de quoi que ce soit de plus.


Douala 🇨🇲 

Ces personnes qui changent ta vie sans que tu t’en rendes compte

Quand était la dernière fois que tu t’es arrêté pour te demander qui sont les personnes qui t’apportent le plus dans ta vie ? Je ne parle pas des personnes qui partagent ta vie et que tu vas probablement citer machinalement sans vraiment réfléchir. Je parle des personnes qui, de près ou de loin, ont apporté un gros plus dans ta vie et/ou qui continuent de le faire. Que ce soit par leurs conseils, un livre, une vidéo, ou tout simplement par leur exemple.

Nous avons tous des personnes comme ça dans nos vies. Mais nous sommes souvent tellement concentrés à nous plaindre de ce que nous n’avons pas que nous oublions de réaliser la chance que nous avons de les avoir, de près ou de loin.

J’aimerais t’inviter à faire cet exercice et à identifier ces personnes dans ta vie. Ensuite, fais quelque chose pour exprimer ta reconnaissance. Qu’ils soient vivants ou non, qu’ils puissent le savoir ou non, l'important est simplement d’envoyer ta gratitude. Cela permettra à ce type de personnes de continuer à exister dans le monde, pour toi, et pour nous tous.


Douala 🇨🇲 

L’Afrique face à ses défis : Où sont nos Nobel ?

Cette année, le prix Nobel d’économie a été décerné aux économistes Daron Acemoglu (MIT), Simon Johnson (MIT) et James A. Robinson (Université de Chicago) pour leurs travaux sur la manière dont les institutions se forment et influencent la prospérité. En termes simples, ils ont étudié le rôle des institutions dans le développement d’une communauté.


Il y a une dizaine d’années, Daron Acemoglu et James Robinson ont écrit un brillant livre sur le sujet, Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres (Why Nations Fail, en anglais). Un livre que je t’invite à lire si, toi aussi, tu es préoccupé par le développement de ta communauté.

Je consulte souvent la liste des prix Nobel et je suis toujours frappé par la sous-représentation des Africains. Et quand nous y figurons, c’est pour la littérature ou "la paix". Mais sur les sujets techniques, c’est le vide total. Je me demande : tous ces Africains dont on vante souvent la brillance à travers le monde, brillent-ils seulement dans leurs familles ? Ou bien c’est parce qu’ils ont réussi à construire un immeuble au pays?

Aujourd’hui, l’Afrique est sans doute le continent qui connaît le plus grand nombre de défis. Si nous travaillions sérieusement sur ces questions, nous devrions logiquement avoir des tonnes de prix Nobel, au moins en économie. Mais bon, apparemment, travailler pour Google, Amazon ou Facebook rapporte plus. Et pourquoi se donner autant de mal quand on a déjà son passeport canadien en poche ?

Donc, la prochaine fois que je traiterai cette diaspora de fainéante et inutile, j’espère que tu ne me diras pas que j’exagère. En attendant, je continue de travailler sur ce qui sera peut-être un jour aussi mon prix Nobel d’économie.


Douala 🇨🇲 

Sommes-nous encore envoûtés ? Une réflexion sur nos croyances et nos contradictions.

Je suis tombé sur une vidéo sur LinkedIn tout à l’heure. Franchement, il faut peut-être que je supprime mes comptes sur les réseaux, parce que je n’en peux plus avec mes frères africains.

Il s’agissait d’un pasteur qui parlait du fait que nous soyons envoûtés, envoûtés par les sages. Des sages qui comprennent parfaitement comment fonctionne l’être humain et qui utilisent ces connaissances pour envoûter des peuples entiers. À travers la psychologie ou encore des outils technologiques comme les notifications et TikTok. Bref, il disait des choses très pertinentes, avec des exemples tirés de la Bible où, pour continuer à asservir le peuple israélien, les pharaons faisaient appel à des sages pour perpétuer leur envoûtement. Il a même parlé du général Gallieni et de ses théories pour faire avancer l’agenda de la colonisation française en Afrique.

Dans la vidéo, il aborde le fait que les Africains veulent tous partir en Occident parce qu’on leur a fait croire qu’ils ne pouvaient rien faire par eux-mêmes, que le Blanc est la solution à tous leurs problèmes. Il évoque aussi un sujet dont je parle souvent avec mes amis de la diaspora : en Occident, des systèmes sont mis en place pour empêcher certaines personnes d’atteindre un niveau de connaissance qui leur permettrait de sortir du bas de la société. Le sort qui attend la plupart des enfants de toutes ces personnes qui fuient l’Afrique en croyant aller au paradis. Bref, le sujet était pertinent !

Au début, je ne savais pas qui parlait. Je me suis même dit à un moment donné qu’il restait encore quelques penseurs sur le continent qui n’avaient pas peur de dire la vérité, que tout n’était pas perdu. Ça, c’était avant la fin des trois minutes de la vidéo, quand il s’est levé pour prier avec son auditoire. Là, je me suis dit : "Ekiee, c’est quel genre de contradiction ça ?" Tu parles de l’envoûtement de certains peuples par des sages, alors que toi-même, tu es envoûté par une religion qu’on a imposée de force à tes ancêtres !

Non, je nous respecte ! Comment se fait-il qu’il n’arrive pas à faire le lien entre son message et sa position de pasteur ? Peut-être que tout est vraiment perdu pour ce continent.

Tout cela m’a rappelé une très belle discussion que j’ai eue avec ma mère ce week-end. Une discussion sur les grands philosophes de la Terre qui sont nés presque au même moment (Confucius, Zoroastre, Lao Tseu, Bouddha), sur l’origine des sociétés secrètes occidentales depuis Pythagore, sur la vie de Jésus et la secte (christianisme) créée après sa mort par ses disciples, sur le destin heureux du christianisme parmi les centaines de sectes que comptait l’Empire romain, qui a pris un coup de fouet avec Constantin Ier, dont la mère était chrétienne ; sur Constantinople (ancienne capitale de l’Empire romain sous Constantin) devenue Istanbul ; sur le fait que le Vatican serait peut-être en Turquie aujourd’hui si l’Empire ottoman n’avait pas existé ; sur le fait que les hommes ont compris à un moment donné que le meilleur ciment d’une nation, surtout quand les frontières s’élargissent, est d’unir les peuples sous une même croyance ; sur la naissance de l’Islam et la conquête du reste du monde ; sur la fin de l’expansion musulmane au nord du Cameroun, sur le fait que la conquête serait allée jusqu’en Afrique du Sud s’il n’y avait pas eu quelques couacs ; sur le fait que les peuples les plus développés se sont tous appuyés sur la philosophie d’un de leurs compatriotes ; sur le combat de Mao en Chine pour ramener le pays dans le confucianisme ; sur le fait que nous aussi en Afrique avons eu nos grands philosophes, mais avons eu la malchance de rencontrer l’écriture très tard dans notre histoire ; sur le fait que la première forme de transmission dans le monde, et la plus fiable, a toujours été la transmission orale ; sur le fait que les messages ont toujours été transmis par des chansons depuis des millénaires ; sur le fait que les sociétés se sont toujours organisées en confréries pour transmettre les messages importants aux initiés, formés pendant longtemps pour perpétuer la tradition ; sur le fait qu’en Afrique, ces griots, ces gardiens de la culture, ont été les premiers à être combattus pour nous couper de notre histoire ; sur le fait que si nous ne revenons pas à nos racines, nous ne pourrons jamais nous développer ; sur le fait que la plupart des peuples du monde ont leurs propres calendriers, qui reflètent l’observation du monde depuis leur environnement, et que nous sommes les seuls à vouloir vivre avec le calendrier des autres peuples ; sur le fait que ce n’est pas un hasard si le calendrier Bamiléké a 8 jours ; sur le fait que c’est à ma génération (et à toi qui me lis) de faire le travail d’anthropologie pour retrouver nos racines ; sur le fait que ce n’est pas impossible, car même si aucun de nous n’était là à l’époque du Jurassique, nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les dinosaures. 

Bref, la discussion était tellement intéressante. J’ai vu dans les yeux de ma mère qu’elle-même ne savait pas quel genre d’enfant elle avait accouché. C’était juste dommage que cela n’ait pas été enregistré.

Oui, comme disait le pasteur, nous sommes envoûtés. Mais cela va plus loin, beaucoup plus loin qu’il ne l’imagine. Même la religion dont il est pasteur aujourd’hui est un instrument de notre envoûtement. Comme je disais à maman ce week-end : "La croyance est un mur qui nous sépare de la connaissance." Tant que tu crois, tu ne pourras pas réfléchir. Car réfléchir, c’est refuser de croire sans comprendre.


Douala 🇨🇲