Quand j’étais plus jeune, je voulais être footballeur. Mes premiers vrais souvenirs avec le football doivent remonter à mes 7 ans. J’étais plutôt bon avec une balle au pied. Assez bon pour caresser le rêve d’en faire mon métier plus tard. Surtout que mon enfance, je l’ai passée à une ère magique du football. Quelques années après que le Cameroun ait fait vibrer le monde avec sa prestation à la Coupe du Monde 1990 en Italie. Une ère où nous voyions jouer El Fenomeno, Ronaldo. L’ère du maestro Zidane. Des joueurs aussi talentueux les uns que les autres. Influencé par tout ça, mon choix était vite fait : j’allais devenir un footballeur. Le futur Roger Milla.
Ma maman, elle, ne l’entendait pas de cette oreille. J’étais beaucoup trop brillant à l’école pour qu’elle me laisse envisager une carrière de footballeur. Mais moi, à part ça, je ne savais pas vraiment quoi d’autre je pouvais faire. Elle non plus d’ailleurs. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il fallait que j’aille le plus loin possible dans mes études. Elle caressait peut-être le rêve que je devienne un docteur, un grand ingénieur ou un grand directeur dans une grande entreprise plus tard. Je ne sais pas. Mais je pense que, comme la plupart des parents de sa génération, elle savait que ce rêve devait passer par une case études à l’étranger. Comme si ce n’était qu’à l’étranger qu’on pouvait acquérir le bagage nécessaire pour espérer à un avenir radieux.
Comme maman, la plupart des parents africains sont dans le même paradigme. Nous élevons nos enfants du mieux que nous pouvons jusqu’à ce qu’ils aient le bac, et ensuite on se bat pour qu’ils aillent ailleurs trouver la voie parfaite pour eux. Certains, un peu plus zélés, se disent que leurs enfants doivent devenir avocats ou médecins à tout prix. Et ça passe là aussi par la case expatriation.
Dans ma famille, j’ai des parents qui, après avoir vécu à l’étranger, ont décidé de retourner au pays. Soit pour les opportunités qui s’y trouvent, soit parce qu’ils avaient jugé que c’était le meilleur endroit pour élever leurs enfants. Mais tous, sans exception, ont fait des pieds et des mains pour renvoyer ces mêmes enfants en Occident une fois le bac en poche. Et beaucoup de ces enfants ne reviendront jamais au pays. Et pour ceux qui reviendront, ils referont le même schéma : renvoyer leurs enfants en Occident une fois le bac en poche.
Nous n’arrêtons pas de nous plaindre du sous-développement en Afrique comme si c’était la responsabilité d’une seule personne. Pour qu’un pays se développe, ça demande beaucoup de travail. Et surtout beaucoup de personnes à des postes spécifiques. Mais combien d’entre nous élevons nos enfants pour aller occuper ces postes ? Une bonne partie de tous mes amis en Occident ont étudié l’informatique, les télécoms ou tout autre métier lié aux nouvelles technologies. Pendant que leurs parents dorment dans le noir ici au Cameroun. Pendant que notre pays manque d’eau potable, que nos populations n’arrivent pas à maîtriser l’agriculture, et que nous ne sommes même pas capables d’organiser le moindre business. À quoi nous servent tous ces informaticiens ? À rien ! Mais ils sont bien utiles pour accélérer la digitalisation des pays occidentaux dans lesquels ils vivent. Creusant encore un peu plus le fossé entre ces pays et nous. Nous laissant à leur merci.
On a réussi à nous faire croire que c’était mal d’avoir beaucoup d’enfants. Et personne d’entre nous n’a jamais essayé de faire la corrélation entre la puissance d’un pays et sa population. Le premier capital d’une nation, c’est sa ressource humaine. C’est d’ailleurs le premier capital d’une famille. Et ce capital, au niveau de la famille ou de la nation, doit être utilisé sagement. À l’époque, on ne devenait pas un grand agriculteur parce qu’on avait beaucoup de terres, mais parce qu’on avait assez de mains pour labourer cette terre. Et souvent, les mains les plus fiables étaient celles de nos enfants. Personne ne portera ton projet mieux que toi ou tes enfants.
Nous, Africains, nous sommes devenus les spécialistes à produire la main-d’œuvre pour d’autres peuples. Nos frères et sœurs meurent de paludisme et de typhoïde dans la trentaine pendant que nos enfants sont occupés à sauver des octogénaires en Occident. À accompagner des centenaires dans leurs fins de vie. Et même nos plus grands intellectuels n’arrivent pas à voir l’ironie de la situation. Aveuglés par un argent qu’ils ne pourront jamais utiliser.
Beaucoup de bougres dans la diaspora sont convaincus que parce qu’ils ont été "sélectionnés" pour vivre en Occident, ils sont des chanceux. Aucun n’est assez malin pour comprendre le jeu qui est en place. Laisse-moi te raconter une petite histoire. Au Cameroun, comme dans la plupart des pays africains, tous les poulets de chair que nous élevons sont d’une race brevetée appartenant à des industriels en Occident. Ils nous louent la technologie pour créer les œufs dont ces poulets seront issus. Les œufs qui produiront les fameux poussins d’un jour. S’ils arrêtent de nous fournir la technologie, nous arrêtons aussitôt de produire les poulets. Aussi simple que ça. Autrement dit, bien qu’élevés sur place, la plupart des poulets que nous mangeons dans nos pays sont importés. Avec ce mécanisme, ils nous contrôlent et s’assurent que nous soyons toujours dépendants d’eux.
Les personnes qui ont mis ce système en place savent très bien comment ça marche pour éviter de se retrouver dans la même position de dépendance pour une autre ressource dont ils ont besoin venant de nous : la ressource humaine. Venir chaque fois nous demander la main-d’œuvre nécessaire pour avancer leurs économies serait se mettre en position de dépendance. Ils ont donc concocté un plan génial : importer la technologie de fabrication de main-d’œuvre afin que cette dernière la produise sur place. Si tu crois que c’est toi qui intéresses l’Occident parce que tu as eu la chance d’être parmi les heureux sélectionnés, c’est que le plan marche très bien sur toi. Ce qui l’intéresse, ce sont tes enfants, les enfants de tes enfants, et les enfants de ces enfants. Que tu le veuilles ou pas, toute ta lignée deviendra de la main-d’œuvre bon marché pour eux. Et le pire, c’est qu’ils seront convaincus qu’ils n’ont pas le choix. Pourquoi aller kidnapper les poussins chaque année quand on peut convaincre la poule de venir s’installer chez nous et nous produire ces poussins sur place ? C’est exactement ce qui se passe.
Si tu es dans cette situation et que tu n’y avais jamais pensé, je suis navré de te l’apprendre. Mais c’est toi le négrier 2.0, et les esclaves que tu transportes, ce sont ces enfants dans tes bourses ou tes ovules. Vu que tu ne connais pas l’importance de cette progéniture que tu portes en toi, quelqu’un est en train de te l’échanger pour une photo à la Tour Eiffel. Tu es Bac+ combien déjà ? Bref…
Si comme moi tu as déjà vécu en Occident, tu sais qu’on n’y rit pas avec les enfants. Les enfants ne sont pas les tiens. Ils sont d’abord ceux de l’État. Et on est prêt à te donner autant d’argent que nécessaire pour les élever. Et nous, profiteurs de notre état, on se dit "Wow, free lunch." Non, mon ami, ça s’appelle protéger son investissement. Ils ont bien compris que la force d’une nation, c’est sa ressource humaine. Et vu qu’il est pour le moment impossible d’aller la creuser dans une mine quelque part, il faut bien trouver un bon moyen de l’acquérir.
Si tu as lu quelques livres sur les guerres barbares d’antan, ou même juste regardé quelques films, tu sais qu’après la conquête d’un village on tuait les hommes et emportait femmes et enfants. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi ? Bref, je parle même à qui ? Si tes parents t’élevaient sans mission autre que tu aies un "bon travail" demain, comment ton cerveau pouvait arriver là-bas ?
Ta ressource la plus précieuse après ton temps, ce sont tes enfants. Ce sont eux qui sont les plus à même de continuer ton œuvre. Ce sont eux qui feront vivre ta culture à travers eux et leurs enfants à eux. Tu ne devrais pas les vendre pour un bout de papier, fût-il un passeport bordeaux ou je ne sais quoi.
Garder tes enfants auprès de toi et les orienter vers la résolution des problèmes de ta communauté est ton meilleur moyen de sortir de la pauvreté.
Si tu penses que tu vas les envoyer voler un peu des connaissances d’un peuple 100 fois plus malin que toi et t’envoyer un peu d’argent pour te développer, c’est que tu es d’une naïveté qui fait peur. Et pourtant, c’est ce que nous passons notre temps à faire en Afrique. Et on s’étonne que depuis des années ça ne marche pas. Nous sommes persuadés que le problème ce sont nos dirigeants ? Qu’en changeant de président, nous allons résoudre le problème ? En mettant un président qui lui-même a envoyé ses propres enfants en esclavage en Occident ?
Mes enfants à moi, j’aimerais qu’ils continuent mon œuvre. Qu’ils continuent d’écrire ces textes qui te retourneront les méninges, et qui sait, pourront pousser tes enfants à se révolter de l’esclavage dans lequel tu les auras poussés. Je n’attends pas d’eux qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Sinon, ils seront comme moi, persuadés qu’ils doivent être footballeurs alors que leurs frères et sœurs ont besoin de médecins pour les soigner, que leurs pays ont besoin d’intellectuels pour repenser un nouveau contrat social, que nous avons besoin de scientifiques qui pourront nous aider à enfin exploiter à notre avantage toutes les ressources dont la nature nous a gratifiés.
Non, je ne suis pas dans le camp de "mes enfants deviendront ce qu’ils ont envie de devenir". C’est le camp de tous ceux qui ont laissé la télé, les jouets, la société et je ne sais quoi d’autre influencer leurs enfants pour leurs propres intérêts. Mes enfants à moi, ils devront travailler aux côtés de leur père à créer de la richesse et des solutions pour améliorer la vie de nos semblables. Et c’est la raison pour laquelle je les fais voyager au maximum. Qu’ils aient une grande ouverture d’esprit. Pour cette raison, je leur parle de ce que je fais, d’où nous venons, et du devoir qui est le nôtre.
Ce texte, il pourrait encore s’étaler sur plusieurs paragraphes, mais je préfère m’arrêter là pour le moment et te donner quelques conseils :
- Si tu es en Occident, demande pardon à tes enfants de les avoir trahis pour un bout de pain (ou de papier), et si tu es assez courageux, travaille à les ramener sur leur Terre d’où tu les as arrachés pour aller les vendre en esclavage.
- Si tu es en Afrique, commence dès maintenant à tracer la voie de tes enfants. Oriente-les dès maintenant vers les problèmes de ta communauté et retire de ta tête le projet des études en Occident. Si tu ne le fais pas, quelqu’un d’autre disposera de leurs énergies. Et crois-moi, ce ne sera jamais un deal en ta faveur si ça arrive.
- Et si tu n’as pas encore d’enfants, sache qu’entre tes jambes repose ton plus gros trésor. Ce trésor est une partie de la solution à tous tes problèmes, à condition que tu t’y prennes bien et que tu évites les motos sur les pavés.
Douala 🇨🇲