Comment le hasard peut nous tromper : une leçon de Nassim Taleb

Je suis en train de lire, enfin écouter, un livre passionnant : Fooled by Randomness de Nassim Taleb. C’est un de ces livres que je m’étais promis de lire tranquillement plus tard. Mais bon, vu que j’avais déjà écouté (deux fois de suite) le mois dernier son autre livre The Bed of Procrustes, qui fait partie de sa série Incerto (Fooled by Randomness, The Black Swan, Antifragile et The Bed of Procrustes), je me suis dit, pourquoi pas ?

Franchement, c’est un excellent livre. Le genre qui te fait te poser des questions sur ton intelligence. Le genre qui t’amène à vraiment réfléchir. J’espère pouvoir en faire une note de lecture à la fin, même si je pense qu’il faudra le lire au moins deux fois avant de me prêter à l’exercice.

Le livre parle de la chance et du hasard, des éléments avec lesquels nous avons souvent du mal à composer, même les plus intelligents d’entre nous. En fait, surtout les plus intelligents. Bref, je te le recommande vivement.

Mon texte d’aujourd’hui porte sur une escroquerie dont Taleb parle dans le livre. Je me suis dit que t’expliquer ce système serait une bonne façon de te montrer à quel point on peut facilement se faire avoir par de petits détails et de souligner l’importance de réfléchir vraiment. Pas ce mimétisme intellectuel auquel nous sommes souvent habitués. Il s’agit de "l'arnaque du gourou boursier" ou "l'arnaque de la prédiction financière". J’ai demandé à Claude de mieux l’expliquer pour toi.

Voici comment cela fonctionne :

Début :

L'escroc envoie 5000 courriers prédisant une hausse du marché (bull) et 5000 autres courriers prédisant une baisse du marché (bear).

Premier mois :

Supposons que le marché monte. Les 5000 personnes ayant reçu la prédiction "bull" pensent que l'escroc a correctement prédit le marché.

Deuxième mois :

L'escroc se concentre uniquement sur les 5000 personnes qui ont reçu la bonne prédiction. Il divise à nouveau ce groupe en deux : 2500 reçoivent une prédiction "bull", 2500 une prédiction "bear".

Ce processus se répète :

Chaque mois, l'escroc ne garde que le groupe qui a reçu la bonne prédiction et le divise à nouveau.

Après plusieurs mois :

Un petit groupe de personnes aura reçu une série de prédictions correctes. Pour ce groupe, l'escroc semblera avoir des capacités de prédiction extraordinaires.

L'arnaque :

L'escroc peut alors demander de l'argent à ce groupe pour des "conseils d'investissement premium". Les victimes, impressionnées par la série de prédictions correctes, sont plus susceptibles de payer.

Cette escroquerie exploite plusieurs biais cognitifs :

      • Le biais de survie : on ne voit que les "gagnants" du processus.
      • Le biais de confirmation : les gens ont tendance à se souvenir des prédictions correctes.
      • La méconnaissance des probabilités : la chance d'avoir une série de prédictions correctes par hasard n’est pas intuitive pour beaucoup.

Taleb utilise cet exemple pour illustrer comment nous pouvons être trompés par le hasard et l'importance de comprendre les probabilités et les statistiques pour éviter ce type de manipulation.

J’espère que ce petit texte t’aidera à comprendre l’importance des mathématiques et de la réflexion critique (sachant qu’il n’y a pas de réflexion sans écriture). Et j’espère aussi que tu vas voir au-delà de cet exemple. Ici ce n’est que le doigt qui est pointé en direction de la lune. 


Douala 🇨🇲 

Racines et loterie : le miroir de l'histoire à travers la mort de John Amos

Hier, le 1er octobre 2024, la mort de John Amos a été annoncée publiquement. Il serait en réalité décédé depuis le 21 août, de cause naturelle. Il fait partie des milliers de personnes, célèbres ou non, qui meurent chaque jour. Pourquoi en faire un article aujourd’hui ?

John Amos était un célèbre acteur américain que j’ai découvert pour la première fois dans son rôle de Kunta Kinté dans la série Racines. Si tu es africain comme moi, tu associes probablement son visage à celui de Kunta Kinté.

Dans cette série, adaptée du livre éponyme d'Alex Haley que je te recommande vivement de lire, Kunta Kinté est incarné par deux acteurs : John Amos, pour le Kunta Kinté adulte, et LeVar Burton, pour le Kunta Kinté jeune. Bien que l’image de Kunta Kinté que nous retenons le plus soit celle de John Amos, la scène la plus marquante de la série pour moi a été jouée par LeVar Burton. Il s’agit de la fameuse scène du nom, dans laquelle Kunta Kinté refuse d’accepter le nom d’esclave, "Toby", qui lui a été imposé. Malgré les punitions sévères, il persiste à affirmer son véritable nom, Kunta Kinté, comme un acte de résistance et de préservation de son identité et de son héritage culturel.

Cette scène est devenue l’une des plus mémorables de la série, symbolisant la lutte pour l’identité et la dignité face à l’oppression de l’esclavage. Elle illustre la force de caractère du personnage et son refus d’abandonner ses racines, malgré les terribles circonstances auxquelles il est confronté.  

Aujourd’hui, l’esclavage physique a été aboli. Cependant, nous restons prisonniers d’une sorte d’esclavage mental dans lequel nous nous complaisons volontiers. Nous n’avons plus besoin de fouets pour appeler nos enfants Toby, Paul ou Ronel. Nous n’avons plus besoin d’être transportés de force à l’autre bout du monde pour renier notre héritage culturel. Non, nous nous considérons fièrement comme des Bretons, des Savoyards, ou des Canadiens de souche. La lutte pour l’identité et la dignité n’est plus qu’un lointain mirage. Pour une poignée de dollars, nous sommes prêts à nous déguiser en bouffons et à renier tous nos ancêtres.

Peut-être que ce n’est qu’un hasard, et si c’est le cas, le hasard sait si bien faire les choses. Car bien qu’étant décédé il y a plus d’un mois, ce n’est que le 1er octobre que sa mort a été annoncée publiquement. La veille du début officiel de la loterie américaine. Cet événement où les descendants des anciens vendeurs d’esclaves, aujourd’hui, vendent le rêve aux descendants de ceux qui n’ont pas pu être capturés il y a 400 ans. Comme quoi, peut-être que les anciens esclavagistes auraient dû faire un peu de “Behavioral Economics”. Ils n’auraient pas laissé une si mauvaise presse dans l’histoire.


Douala 🇨🇲 (ville jumelée à Juffureh en Gambie 🇬🇲) 

Les dangers cachés de toujours vouloir prendre le chemin le plus court

Les résultats sont sans appel : les textes accompagnés d’images attirent une meilleure audience que ceux qui en sont dépourvus. Il y a certainement plusieurs raisons psychologiques à cela, mais ce n’est pas le sujet du jour.

Aujourd’hui, j’aimerais te parler des effets pervers que peut avoir sur ta vie le fait de vouloir toujours emprunter des raccourcis. Je te vois déjà esquisser un sourire narquois en te disant : “Ronel, pourquoi tu aimes tant quand les choses sont difficiles ?”

Avec la démocratisation d’Internet, de plus en plus de personnes se sont découvert une audience devant laquelle s’exprimer à travers des posts sur les réseaux sociaux, des blogs, des statuts, et j’en passe. On pourrait penser que la qualité d’écriture aurait suivi une évolution à la hausse, mais ce n’est pas du tout le cas. Le problème est que les gens veulent avant tout écrire pour toucher le maximum de personnes. Et pour cela, ils utilisent tous les raccourcis possibles : texte accompagné d’une image, titre alléchant (click-bait) qui souvent n’a rien à voir avec le texte, et d'autres astuces répertoriées. Résultat, au lieu d’apprendre l’art de savoir bien écrire, qui demande du temps et de la pratique, ils passent leur temps à essayer de maîtriser le nouveau raccourci à la mode.

C’est exactement le même phénomène que je vois dans l’entrepreneuriat. Au lieu d’apprendre les bases du business, qui sont d’apporter de la valeur en fournissant un produit ou un service de qualité à un prix raisonnable, on se lance dans des tas de raccourcis qui vont à l’encontre des intérêts des clients que nous voulons servir. Et on s’étonne ensuite de ne pas réussir à construire de grandes entreprises.

Je pourrais accompagner tous mes textes d’une image pour obtenir plus de réactions de mon audience. Je pourrais proposer des titres plus “click-baity" les uns que les autres. Mais je refuse de le faire. Non pas parce que j’aime la difficulté, mais parce que si j’écris, c’est avant tout pour devenir un bon écrivain. Et tricher ne me rapprochera pas de mon objectif, même si, sur le coup, je recevrais une bonne note auprès du public.

Une proche m’a dit un jour : “Je ne suis pas à jour sur tes textes. Maintenant, je lis quand le titre est accrocheur.” Et c’est certainement ce que beaucoup d’autres font aussi. Je pourrais donc me concentrer uniquement sur les titres. Mais est-ce que cela ferait de moi le bon écrivain que je veux être ? J’en doute. Mon énergie serait mieux investie dans le travail difficile d’écrire chaque jour, plutôt que de me concentrer sur les titres de mes textes. Et un jour, quelqu’un qui aimera vraiment ce que je fais le partagera autour de lui. Peut-être qu’il ne sera pas le seul. Et là, j’aurai trouvé mon vrai public, celui qui lit mes textes non pour leurs titres, mais pour leur contenu. Comme le dit souvent Seth Godin : “People like us do things like that.”

Ce jour peut prendre des années à venir, comme il peut arriver demain. C’est la partie de l’équation que je ne contrôle pas. Tout ce que j’ai à faire, c’est me concentrer sur ce que je peux contrôler et continuer de faire mes répétitions. Mais quand ce jour finira par arriver, que ce soit pour toi ou pour moi, nous aurons enfin trouvé notre vraie audience. Pas celle que nous avons manipulée, mais celle qui écoute parce que notre message résonne en elle. C’est cette audience-là dont nous avons besoin.

C’est exactement la même chose en affaires. La durée de vie d’une entreprise est extraordinairement courte : moins de 5 ans pour la grande majorité. Mais celles qui franchissent les 10 ans deviennent particulièrement pérennes. Le problème, selon moi, est que beaucoup d’entreprises, au lieu de se concentrer sur la maîtrise de leur métier, passent leurs premières années à utiliser tous les raccourcis possibles pour atteindre une audience, n’importe laquelle. Et comme les raccourcis sont une forme de tricherie, non seulement ces entreprises n’apprennent rien, mais elles se mettent à dos l’audience qu’elles ont voulu capturer. Pas étonnant qu’à un moment, plus personne ne veuille faire affaire avec elles. Personne n’aime avoir la sensation de s’être fait manipuler ou pigeonner.

Nous vivons dans une société où les raccourcis sont de plus en plus célébrés, où les gens pensent que tout peut s’obtenir en un clic. Une société où quelqu’un veut perdre 10 kg en 4 semaines, où un autre veut être “fort aux fesses” en consommant une pilule ou en buvant une potion. Où tout le monde veut faire du buzz sans jamais avoir investi le temps nécessaire pour développer une expertise – les fameuses 10 000 heures. C’est exactement l’effet pervers des raccourcis : nous finissons par penser que tout peut s’obtenir facilement et nous détestons de plus en plus le travail, surtout celui qui demande un effort, qu’il soit physique ou intellectuel.

Il existe certainement des moyens plus simples de faire certaines choses. Mais la plupart du temps, l’expertise demande du temps et des efforts. Choisir systématiquement le raccourci, c’est envoyer un mauvais message à ton cerveau : celui que tu n’es pas capable d’y arriver autrement. Et c’est un message que je ne veux surtout pas envoyer au mien.

Nous ne nous rendons pas compte des ravages que l’addiction aux raccourcis peut causer dans nos vies. Peut-être parce que nous sommes trop concentrés à chercher le prochain raccourci. Construire un système éducatif ou de santé solide demande beaucoup de temps et d’efforts, alors on choisit le raccourci et on s’installe en Occident ou bien on y envoie ses enfants étudier et on y va se soigner. Rentrer en Afrique après ses études en Occident nécessite un certain effort de réadaptation, alors on choisit le raccourci en restant en Europe et en se plaignant sur les réseaux sociaux du manque d’infrastructures. Autant d’exemples qui semblent anodins mais qui sont bel et bien des raccourcis, auxquels nos esprits ont fini par s’habituer.

Tout le monde aimerait avoir une vie facile, et je ne dirai pas le contraire. Mais n’oublions pas la Loi de Lavoisier : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” Si c’est facile aujourd’hui grâce à un raccourci, ce sera difficile demain. Il n’y a qu’à regarder la deuxième génération d’immigrés dont les parents ont fui la difficulté de l’Afrique pour le confort de l’Occident, et la comparer à la nouvelle génération de Chinois dont les parents ont suivi Mao dans la difficile refonte de la société chinoise. Soit c’est facile aujourd’hui et difficile plus tard, soit c’est difficile aujourd’hui et facile plus tard. Il faut choisir : tu paies pour tes enfants ou tu les laisses payer pour toi ?

Moi, j’ai fait mon choix : celui du travail dur, de l’expertise, de l’évitement de “l’argent facile” (comme dit souvent mon pote Adrien). Celui de payer le prix dur pour que, des années après moi, les gens puissent venir au Cameroun, précisément à Bana, et dire : “Ici, a vécu un homme qui a payé le prix fort pour ses descendants.” Exactement ce que ton subconscient se dit quand tu te grattes les couilles à table en regardant les JO depuis ton appartement new-yorkais.


Douala 🇨🇲 

De la souveraineté alimentaire à la dépendance : une alerte pour l’Afrique

Tout à l’heure, je suis allé acheter un complément pour ma salade (d’avocats). J’ai décidé de changer un peu et de remplacer le pain ou les gâteaux par des bâtons de manioc, histoire de consommer local et d’encourager les cultures de chez nous. Sachant que le blé est pour la plupart importé, contrairement au manioc.

Quelle ne fut pas ma surprise quand la dame m’a annoncé qu’un bâton coûtait 150F ! Je savais que son prix augmentait depuis un certain temps, mais je ne pouvais pas imaginer qu’il avait déjà atteint de tels sommets.

Pour la même quantité de salade, j’aurais dépensé 100F en pain ou en gâteaux. Pire, il y a 10 ans, j’aurais dépensé au maximum 50F pour ce même bâton et 75F pour la quantité équivalente de pain. En quelques années, le bâton de manioc, produit à presque 100 % localement, est devenu moins compétitif que le pain, produit à 80 % avec des matières importées.

C’est le même sort que subissent la plupart de nos cultures locales. Elles deviennent avec le temps de plus en plus chères par rapport aux alternatives importées. C’est ainsi que nous en sommes venus à manger plus de riz et de pâtes que de macabos et de plantains. Petit à petit, dans un silence olympien, nous sommes en train de perdre toute notre souveraineté alimentaire. Selon toi, que nous restera-t-il quand nous serons totalement dépendants des autres pour manger ?

Tu me diras peut-être que nous ne sommes pas obligés de manger du blé ou d’autres aliments importés, et je te répondrai que tu as raison. Mais lorsqu’il s’agit de faire un choix, l’instinct de survie prend le dessus. Pour des personnes aux ressources limitées, la question n’est pas de savoir quoi manger, mais de pouvoir manger avec les moyens disponibles. Et quand les options les moins chères sont celles d’importation, le choix est vite fait.

Ton devoir, si tu te considères comme un Africain conscient, est de faire en sorte que l’option la moins chère soit une option souveraine et, si possible, saine. C’est la base même de la souveraineté (et non envoyer des satellites dans l’espace). C’est la raison pour laquelle je suis entré dans le business de l’agroalimentaire. C’est la raison pour laquelle j’essaie de moderniser la restauration africaine avec Katering, et la raison pour laquelle, avec Flavien, nous travaillons sur Agrifrika, qui a pour ambition de redonner ses lettres de noblesse à l’agriculture africaine. Parce qu’il n’y a pas de développement sans souveraineté alimentaire.

Il y a quelques mois, dans Les bobolos, je trouvais anormal qu’après tant d’années, il n’y ait toujours pas de vraies marques de bâtons de manioc dans notre pays. Ça t’a peut-être fait sourire, mais cette inflation fulgurante du prix du bâton, le rendant de moins en moins compétitif face au pain, est une conséquence directe de ce manque de marques.

Si l’un de nos parents s’était engagé à créer une marque, il aurait certainement travaillé sur la qualité, amélioré les processus de fabrication, organisé les producteurs et toute la filière manioc, et réalisé des économies d’échelle, ce qui aurait permis de stabiliser le prix du bâton. Et s’il y avait eu quelques acteurs dans cette industrie, ils auraient également pu se disputer les subventions du gouvernement, comme les acteurs du blé, qui reçoivent chaque année des subventions se comptant en milliards de FCFA. En dynamisant le marché, la consommation aurait certainement augmenté, tirant les coûts vers le bas. Mais bon, ils ont préféré importer le blé sans comprendre les enjeux.

Depuis que nous avons commencé l’aventure Le Porc Braisé, les coûts d’achat ont subi une inflation de plus de 20 %. Comme la plupart des concurrents n’ont pas de processus industriels, ils ont répercuté cette inflation sur les clients, augmentant le prix final de plus de 50 %. Le plat de porc braisé, autrefois assez compétitif face à la pizza et au burger, l’est de moins en moins. Que penses-tu qu’il se passera quand un menu McDo ou une pizza de chez Dominos sera moins cher qu’un plat de porc ? Les gens mangeront de moins en moins de porc, et il y aura de moins en moins d’éleveurs.

Notre ambition avec Le Porc Braisé est justement d’empêcher que cela n’arrive. Malgré notre petite taille, notre prix de vente n’a augmenté que de 15 % après l’inflation. Et nous avons fait en sorte que le consommateur final ne ressente pas cette hausse afin qu’il n’y ait aucun impact sur son panier. Nous réussissons ces petits actes de magie parce que nous avons professionnalisé la profession, introduit des processus rigoureux sous une marque forte. À terme, quand nous aurons des centaines de points de vente dans tout le pays, nous pourrons organiser les éleveurs, leur assurant de meilleurs revenus et faisant profiter les consommateurs des économies d’échelle. C’est à cela que sert l’industrialisation, enfin, je crois.

Mais bon, je suis là, j’écris beaucoup, pendant que les descendants des anciens vendeurs d’esclaves sont activement en train de refaire la peinture de leurs boutiques. Apparemment, la nouvelle saison de la loterie américaine commence dans quelques jours.


Douala 🇨🇲 

Le retard : l’obstacle invisible au développement de l’Afrique ?

Aujourd’hui, j’ai organisé un anniversaire surprise pour un ami. Enfin, cela fait des semaines que je le préparais, et aujourd’hui était le Jour J. Ça s’est passé lors du brunch d’un superbe hôtel de la place.

En un mois, j’ai pu contacter tous les invités, régler les détails avec le manager du restaurant de l’hôtel, et mettre tout en place. Les invités étaient censés arriver à 12h30 afin d’être là pour faire la surprise à mon ami, à qui j’avais proposé de me retrouver au brunch à 13h.

Je me disais qu’une demi-heure de marge de manœuvre serait suffisante pour que tout se passe sans encombre. C’était sans compter sur notre légendaire propension au retard. Le premier invité est arrivé à 12h40, un peu après l’heure prévue, et tous les autres sont arrivés bien après 13h20, soit 20 minutes après l’heure d’arrivée prévue pour le concerné. Certains sont même arrivés après 15h, bien longtemps après lui.

Je ne te raconte pas le stress que j’ai ressenti pendant tout ce moment. Heureusement (ou malheureusement), mon ami a dû décaler son arrivée d’une heure, victime d’un changement de programme de dernière minute avec son rendez-vous précédent.

Je ne sais pas à quel moment nous comprendrons que nous ne pouvons rien construire si nous n’arrivons même pas à être à l’heure. Nous en sommes arrivés à porter fièrement ce défaut comme un badge qui nous distingue des autres, sans nous rendre compte à quel point il nuit à notre évolution.

Depuis quelques jours, je lis un livre sur le nombre d’or, toutes les observations et calculs qui ont été faits depuis des millénaires sur la nature, les rythmes, les proportions. Et me voilà aujourd’hui, entouré d’une douzaine de personnes, toutes ayant dépassé la trentaine, qui ne savent même pas ce qu’est le temps. Wow ! Nous sommes peut-être vraiment condamnés.

Certains me disaient tout à l’heure qu’il fallait que je me "tropicalise". Je me demande ce qu’ils diraient si le chirurgien qui devait opérer leur enfant se pointait avec deux heures de retard.

Être à l’heure, c’est être précis. Et la précision est la condition de base pour toute construction. Je ne sais pas comment nous comptons nous développer si nous négligeons constamment cet aspect.


Douala 🇨🇲 

Une opportunité manquée : comment l’Afrique se prive de son avenir

Aujourd’hui, je suis passé voir maman pour notre séance de travail hebdomadaire. Une de mes tantes est passée lui faire un coucou, et nous avons eu l’occasion de discuter un peu.

Elle m’a fait savoir qu’il y avait actuellement une pénurie de boissons sur le marché. Elle gère un bar et m’a expliqué que sur les 70 casiers de bières qu’elle a commandés aux Brasseries du Cameroun, elle n’en a reçu que 30, et uniquement deux références. Apparemment, ce serait encore plus grave chez UCB, l’acteur local, numéro deux du marché.

Je lui ai demandé quelle pouvait en être la cause. Pénurie de matières premières ? Problèmes au port ? Et elle de me répondre qu’apparemment ces entreprises font face à de sérieux problèmes de personnel. Il n’y aurait plus assez de machinistes pour tourner à plein régime.

Ça semble surréaliste, mais ça ne m’étonnerait pas du tout. C’est déjà le problème que nous rencontrons dans les télécoms. La plupart des ingénieurs réseaux des opérateurs du pays ont pris la poudre d’escampette. Si tu es au Cameroun ces jours-ci, c’est certainement la chose qui va te frapper le plus : la mauvaise qualité du réseau téléphonique.

Mais bon, il y en a toujours qui disent que ce n’est pas grave. Que tout le monde ne peut pas partir. Il faut croire que tant que tout ceci ne se sera pas transformé en un drame personnel pour certains, ils ne pourront pas comprendre à quel point l’heure est grave.

Paradoxalement, toutes ces personnes qui fuient le pays pour aller au Canada y vont pour résoudre le problème qu’ils sont en train de créer ici : le problème d’une insuffisance de main-d'œuvre de base. La main-d’œuvre nécessaire pour faire fonctionner une économie.

Imagine que tu es derrière une personne avec qui tu es en concurrence à l'école et que tu as toujours voulu surpasser. Et un jour, il arrive à l’examen sans son stylo. Il te propose de te donner 100F pour utiliser ton stylo pendant l’examen. Toi, tu acceptes, sachant que tu n’as pas d’autre stylo. Tu viens juste, comme un con, de manquer une très belle occasion de passer devant lui. Sans stylo, il n’aurait pas pu composer. Et s’il n’avait pas composé, tes chances de le dépasser auraient été meilleures. Mais pour 100F, tu vas passer à côté de l’occasion de ta vie.

C’est exactement la situation dans laquelle beaucoup d’Africains se trouvent actuellement. Aveuglés par l’envie, on ne se rend pas compte de l’opportunité que l’Histoire nous offre.


Douala 🇨🇲 

Des exploits en un temps record

Il y a quelques jours, je t’invitais dans ce texte à t’organiser pour les 100 derniers jours de l’année afin que cette année soit ta meilleure en date. Je t’ai donné l’exemple de Charles Lindbergh, qui, avec Donald Hall, a construit The Spirit of St. Louis” en 60 jours. Cet avion avec lequel il fut le premier à faire la traversée de l’Atlantique en solo.

Cet exemple, je l’ai lu pour la première fois dans un excellent essai de Patrick Collison, le co-fondateur et CEO de Stripe. Dans son essai Fast, il donne une liste d’accomplissements extraordinaires qui ont été réalisés en un temps record.

Savais-tu par exemple que Dee Hock, le fondateur de Visa, avait lancé les cartes (BankAmericard à l’époque) en moins de 90 jours ? Et qu'il avait signé plus de 100 000 (CENT MILLE) clients dans la même période ?

Savais-tu que la Tour Eiffel avait été construite en 793 jours (2 ans et 2 mois) seulement ? Et ce, en 1889, devenant le plus haut bâtiment du monde. Un record qu’elle a tenu pendant plus de 40 ans.

Bref, tu serais surpris de voir les exploits qui ont pu être accomplis en si peu de temps. Et peut-être, comme moi, tu ressentiras un peu de honte pour tout ce que tu n’arrives pas à accomplir avec toute la technologie et le confort à ta disposition. Et qui sait, peut-être, si tu es africain comme moi, tu te lanceras enfin avec optimisme sur le grand chantier de notre génération, le développement de notre continent.

Mais bon, même si tu veux encore continuer à te tourner les pouces, je t’invite quand même à aller lire l’article : Fast.


Douala 🇨🇲 

Que ferais-tu s’il ne te restait qu’un mois à vivre ?

Et s’il ne te restait qu’un mois à vivre ? T'es-tu déjà posé cette question ? T'es-tu déjà demandé ce que tu ferais différemment s’il ne te restait qu’un mois à vivre ? Avec qui aimerais-tu passer ce dernier mois ? Dans quel endroit aimerais-tu le passer ? Que voudrais-tu faire ?

Essaie cet exercice dès maintenant. Et si tu n’es pas exactement là où tu aimerais passer ce mois ; avec les personnes avec qui tu aimerais le passer ; en train de faire ce que tu aurais envie de faire ; il est peut-être temps que tu revoies tes priorités. Il ne te reste peut-être pas qu’un seul mois à vivre, mais ni toi ni moi ne pouvons le savoir avec exactitude. La vie est beaucoup trop imprévisible pour la prendre pour acquise.


Douala 🇨🇲 

Esclavage moderne : Les chaînes invisibles de notre société

"Montrez-moi quelqu'un qui n'est pas esclave ! L'un est esclave du sexe, un autre de l'argent, un autre de l'ambition ; tous sont esclaves de l'espoir ou de la peur. Je pourrais vous montrer un homme qui a été Consul et qui est l'esclave de sa 'petite vieille', un millionnaire qui est l'esclave d'une petite servante. Et il n'y a pas d'état d'esclavage plus honteux que celui qu'on s'impose à soi-même."

Ce texte est un extrait de "Lettres à Lucilius" de Sénèque. Il est peut-être vieux de plus de 2000 ans, mais il est tellement dans l’air du temps. Il n’y a pas d’état d’esclavage plus honteux que celui qu’on s’impose à soi-même. Et comme il le dit, nous sommes tous esclaves de quelque chose.

Moi, je suis l’esclave du Cameroun. Ma patrie, la terre qui m’a vu naître, qui m’a tellement apporté, et que j’ai le devoir de protéger. De tous mes maîtres, il est le plus puissant. Il est le plus légitime et peut-être le seul que je ne me suis pas imposé. Enfin, je crois !

Des maîtres, il y en a tellement de nos jours. Nous avons rendu l’esclavage sexy, surtout l’esclavage honteux. Comme Sénèque, je connais tellement de personnes qui sont esclaves de l’argent, de l’alcool, du sexe, de l’envie, de leurs partenaires, mais surtout de la peur, le plus grand maître d’entre tous.

Hier encore, je discutais avec une maman qui envisageait la possibilité que son fils retourne étudier au Cameroun pour avoir une meilleure éducation et éviter de finir comme la plupart des enfants d’immigrés en France. Mais sa première question était : "Combien coûte le lycée français au Cameroun ?" Souvent, nous sommes tellement enfouis dans notre esclavage qu’on ne s’en rend même plus compte. Les chaînes se sont mêlées à notre chair.

Les plus grands esclaves ont des chaînes imaginaires. Le plus grand esclavage n’est pas physique mais mental. Il y a des centaines d’années, il fallait capturer nos ancêtres pour les faire monter de force dans un bateau pour l’Occident. Aujourd’hui, nous y allons à la nage et de plein gré.

Je rencontre tellement de personnes qui me disent qu’elles aimeraient bien rentrer en Afrique pour contribuer, mais que leurs femmes (ou maris) ne veulent pas. Et donc elles restent en Occident. Des esclaves de la famille.

À maintes reprises, on m’a dit : "Ronel, un jour, on te fera du mal si tu continues de parler comme ça." En d’autres mots : "Ronel, sois un esclave de la peur." Et moi de leur répondre, la seule chose que nous avons tous en commun sur cette Terre, c’est la mort. Nous mourrons tous, un jour ou l’autre. Mais ils ne pourront jamais m’obliger à devenir un esclave, un esclave d’un maître que je n’aurais pas choisi. C’est “la dernière des libertés humaines”, comme disait Viktor Frankl. Et personne n’est assez grand, assez fort pour me l’arracher.

Il y a quelques années, Kanye West a dit : "Quand vous entendez parler d'esclavage pendant 400 ans... Pendant 400 ans ? Ça ressemble à un choix." Et tout le monde lui est tombé dessus et a crié au scandale. Certainement parce que beaucoup d’entre nous ne connaissent pas l’histoire des Canthes. On rapporte que lorsqu'ils ont été vaincus par les romains, plutôt que de se rendre et d'être réduits en esclavage, beaucoup de Canthes ont choisi de se suicider en masse. Certains se sont empoisonnés, d'autres se sont jetés sur leurs propres épées, et d'autres encore se sont immolés par le feu avec leurs familles.

Il ne peut y avoir d’esclavage si l’esclave n’accepte pas sa condition et ne se soumet à son maître. Malheureusement, après 400 ans d’esclavage physique, les Noirs sont entrés dans une ère d’esclavage mental qui pourrait durer encore plus longtemps. L’esclavage le plus honteux qui soit : celui de l’envie, du désir, de la convoitise.

Peut-être qu’il serait temps pour nous de mettre nos livres religieux de côté et de lire un peu d’Épictète, surtout ce passage des “Discours” où il nous avertit que "Quiconque veut vraiment être libre ne désirera pas quelque chose qui est en réalité sous le contrôle de quelqu'un d'autre, à moins qu'il ne veuille être esclave.”


Douala (FreeLand) 🇨🇲 

Le plus grand échec ? Ne pas essayer

Chaque jour, je vois et discute avec des personnes qui ont de belles idées, qui veulent accomplir de grandes choses, qui souhaitent se battre pour l’Afrique, mais qui ont peur d’échouer. Elles craignent ce que les autres diront si les choses ne se passent pas comme prévu, et donc, elles ne se lancent pas.

Ce que je leur dis la plupart du temps, c’est que sur leur lit de mort, l’un des plus grands regrets des gens est de ne pas avoir pris assez de risques, de ne pas avoir eu le courage de s’affirmer. Il est donc essentiel d’éviter de commettre cette erreur.

Aujourd’hui, j’aimerais te partager une petite citation de Michael Jordan. Peut-être que lui pourra te convaincre d’enfin te lancer, de commencer ce projet qui te tient à cœur, de parler à cette personne que tu admires tant, de faire entendre ta voix :

“Dans le sport comme dans la vie, le plus grand échec est de ne pas essayer.”


Douala 🇨🇲