Les résultats sont sans appel : les textes accompagnés d’images attirent une meilleure audience que ceux qui en sont dépourvus. Il y a certainement plusieurs raisons psychologiques à cela, mais ce n’est pas le sujet du jour.
Aujourd’hui, j’aimerais te parler des effets pervers que peut avoir sur ta vie le fait de vouloir toujours emprunter des raccourcis. Je te vois déjà esquisser un sourire narquois en te disant : “Ronel, pourquoi tu aimes tant quand les choses sont difficiles ?”
Avec la démocratisation d’Internet, de plus en plus de personnes se sont découvert une audience devant laquelle s’exprimer à travers des posts sur les réseaux sociaux, des blogs, des statuts, et j’en passe. On pourrait penser que la qualité d’écriture aurait suivi une évolution à la hausse, mais ce n’est pas du tout le cas. Le problème est que les gens veulent avant tout écrire pour toucher le maximum de personnes. Et pour cela, ils utilisent tous les raccourcis possibles : texte accompagné d’une image, titre alléchant (click-bait) qui souvent n’a rien à voir avec le texte, et d'autres astuces répertoriées. Résultat, au lieu d’apprendre l’art de savoir bien écrire, qui demande du temps et de la pratique, ils passent leur temps à essayer de maîtriser le nouveau raccourci à la mode.
C’est exactement le même phénomène que je vois dans l’entrepreneuriat. Au lieu d’apprendre les bases du business, qui sont d’apporter de la valeur en fournissant un produit ou un service de qualité à un prix raisonnable, on se lance dans des tas de raccourcis qui vont à l’encontre des intérêts des clients que nous voulons servir. Et on s’étonne ensuite de ne pas réussir à construire de grandes entreprises.
Je pourrais accompagner tous mes textes d’une image pour obtenir plus de réactions de mon audience. Je pourrais proposer des titres plus “click-baity" les uns que les autres. Mais je refuse de le faire. Non pas parce que j’aime la difficulté, mais parce que si j’écris, c’est avant tout pour devenir un bon écrivain. Et tricher ne me rapprochera pas de mon objectif, même si, sur le coup, je recevrais une bonne note auprès du public.
Une proche m’a dit un jour : “Je ne suis pas à jour sur tes textes. Maintenant, je lis quand le titre est accrocheur.” Et c’est certainement ce que beaucoup d’autres font aussi. Je pourrais donc me concentrer uniquement sur les titres. Mais est-ce que cela ferait de moi le bon écrivain que je veux être ? J’en doute. Mon énergie serait mieux investie dans le travail difficile d’écrire chaque jour, plutôt que de me concentrer sur les titres de mes textes. Et un jour, quelqu’un qui aimera vraiment ce que je fais le partagera autour de lui. Peut-être qu’il ne sera pas le seul. Et là, j’aurai trouvé mon vrai public, celui qui lit mes textes non pour leurs titres, mais pour leur contenu. Comme le dit souvent Seth Godin : “People like us do things like that.”
Ce jour peut prendre des années à venir, comme il peut arriver demain. C’est la partie de l’équation que je ne contrôle pas. Tout ce que j’ai à faire, c’est me concentrer sur ce que je peux contrôler et continuer de faire mes répétitions. Mais quand ce jour finira par arriver, que ce soit pour toi ou pour moi, nous aurons enfin trouvé notre vraie audience. Pas celle que nous avons manipulée, mais celle qui écoute parce que notre message résonne en elle. C’est cette audience-là dont nous avons besoin.
C’est exactement la même chose en affaires. La durée de vie d’une entreprise est extraordinairement courte : moins de 5 ans pour la grande majorité. Mais celles qui franchissent les 10 ans deviennent particulièrement pérennes. Le problème, selon moi, est que beaucoup d’entreprises, au lieu de se concentrer sur la maîtrise de leur métier, passent leurs premières années à utiliser tous les raccourcis possibles pour atteindre une audience, n’importe laquelle. Et comme les raccourcis sont une forme de tricherie, non seulement ces entreprises n’apprennent rien, mais elles se mettent à dos l’audience qu’elles ont voulu capturer. Pas étonnant qu’à un moment, plus personne ne veuille faire affaire avec elles. Personne n’aime avoir la sensation de s’être fait manipuler ou pigeonner.
Nous vivons dans une société où les raccourcis sont de plus en plus célébrés, où les gens pensent que tout peut s’obtenir en un clic. Une société où quelqu’un veut perdre 10 kg en 4 semaines, où un autre veut être “fort aux fesses” en consommant une pilule ou en buvant une potion. Où tout le monde veut faire du buzz sans jamais avoir investi le temps nécessaire pour développer une expertise – les fameuses 10 000 heures. C’est exactement l’effet pervers des raccourcis : nous finissons par penser que tout peut s’obtenir facilement et nous détestons de plus en plus le travail, surtout celui qui demande un effort, qu’il soit physique ou intellectuel.
Il existe certainement des moyens plus simples de faire certaines choses. Mais la plupart du temps, l’expertise demande du temps et des efforts. Choisir systématiquement le raccourci, c’est envoyer un mauvais message à ton cerveau : celui que tu n’es pas capable d’y arriver autrement. Et c’est un message que je ne veux surtout pas envoyer au mien.
Nous ne nous rendons pas compte des ravages que l’addiction aux raccourcis peut causer dans nos vies. Peut-être parce que nous sommes trop concentrés à chercher le prochain raccourci. Construire un système éducatif ou de santé solide demande beaucoup de temps et d’efforts, alors on choisit le raccourci et on s’installe en Occident ou bien on y envoie ses enfants étudier et on y va se soigner. Rentrer en Afrique après ses études en Occident nécessite un certain effort de réadaptation, alors on choisit le raccourci en restant en Europe et en se plaignant sur les réseaux sociaux du manque d’infrastructures. Autant d’exemples qui semblent anodins mais qui sont bel et bien des raccourcis, auxquels nos esprits ont fini par s’habituer.
Tout le monde aimerait avoir une vie facile, et je ne dirai pas le contraire. Mais n’oublions pas la Loi de Lavoisier : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” Si c’est facile aujourd’hui grâce à un raccourci, ce sera difficile demain. Il n’y a qu’à regarder la deuxième génération d’immigrés dont les parents ont fui la difficulté de l’Afrique pour le confort de l’Occident, et la comparer à la nouvelle génération de Chinois dont les parents ont suivi Mao dans la difficile refonte de la société chinoise. Soit c’est facile aujourd’hui et difficile plus tard, soit c’est difficile aujourd’hui et facile plus tard. Il faut choisir : tu paies pour tes enfants ou tu les laisses payer pour toi ?
Moi, j’ai fait mon choix : celui du travail dur, de l’expertise, de l’évitement de “l’argent facile” (comme dit souvent mon pote Adrien). Celui de payer le prix dur pour que, des années après moi, les gens puissent venir au Cameroun, précisément à Bana, et dire : “Ici, a vécu un homme qui a payé le prix fort pour ses descendants.” Exactement ce que ton subconscient se dit quand tu te grattes les couilles à table en regardant les JO depuis ton appartement new-yorkais.
Douala 🇨🇲