De l’opium chinois aux illusions africaines : Qui profite vraiment du crime ?

Au début des années 1800, la Compagnie britannique des Indes orientales vendait massivement de l'opium indien en Chine. Ce commerce créait une grave crise de dépendance au sein de la population chinoise et un fort déséquilibre commercial. En 1839, l'empereur chinois Daoguang tenta d'arrêter ce commerce illégal en faisant détruire des cargaisons d'opium à Canton. En réponse, le Royaume-Uni déclara la guerre à la Chine, utilisant sa supériorité navale et militaire. La défaite chinoise mena au Traité de Nankin (1842), qui : céda Hong Kong à la Grande-Bretagne, força l'ouverture de plusieurs ports chinois au commerce britannique et imposa d'importantes indemnités à la Chine. Une seconde guerre de l'opium (1856-1860) renforça encore ces "traités inégaux" et l'humiliation de la Chine. Ces événements sont considérés en Chine comme le début du "siècle d'humiliation" (1839-1949). Hong Kong resta sous contrôle britannique jusqu'en 1997, date de sa rétrocession à la Chine.

Le sakoku (dont je te parlerai plus en profondeur dans un autre texte) était une politique d'isolement strict du Japon qui a duré de 1639 à 1853. Durant cette période, le Japon interdisait presque tout contact avec l'étranger : les Japonais ne pouvaient pas quitter le pays, et seuls quelques commerçants chinois et hollandais étaient autorisés dans un comptoir isolé de Nagasaki. Cette période prit fin en 1853 quand le Commodore américain Matthew Perry arriva dans la baie d'Edo (aujourd'hui Tokyo) avec quatre navires de guerre ("Navires noirs"). Cette démonstration de force militaire avait pour but de forcer le Japon à s'ouvrir au commerce international. Face à cette menace militaire et à la supériorité technologique évidente des Occidentaux, le Japon fut contraint de signer la Convention de Kanagawa en 1854, mettant fin au sakoku. Ce traité ouvrit plusieurs ports au commerce américain et permit l'établissement d'un consulat américain au Japon. Cet événement déclencha une profonde transformation du Japon, qui comprit qu'il devait se moderniser rapidement pour éviter le sort de la Chine. Cela mena à la restauration Meiji en 1868 et à une modernisation accélérée du pays.

Pourquoi les Britanniques, selon toi, ont-ils essayé de noyer la Chine sous l'opium ? Parce que tout bon stratège de guerre sait qu'il ne faut faire recours à une guerre sur le terrain qu'en dernier recours. Ce sont des guerres qui sont souvent très longues et coûtent beaucoup trop cher. Vu qu'il était plus difficile de christianiser en masse la Chine qui était un peuple avec des philosophies millénaires (d'ailleurs, Confucius est né plus de 5 siècles avant Jésus), il fallait utiliser une autre méthode, celle de la drogue. Il aurait été plus facile d'asservir le pays, de retourner la population contre ses leaders en la droguant. Et c'est exactement ce que l'Empire britannique a essayé de faire. Et face à un pouvoir qui a lu clair dans leur jeu, ils ont dû passer à la violence. Mais je veux que tu te poses un instant et que tu imagines l'incongruité de la chose : je vends de la drogue à tes enfants et quand tu décides de stopper mon commerce illégal, je te déclare la guerre et confisque ta cuisine pendant 100 ans.

Pourquoi, selon toi, pendant la période du sakoku, seuls quelques commerçants chinois et hollandais étaient autorisés dans ce comptoir isolé de Nagasaki, quand on sait qu'à cette période, les Espagnols et les Britanniques étaient les rois du monde ? Les Chinois, parce qu'ils étaient les voisins directs et qu'il existait des relations millénaires entre les deux peuples. Et les Hollandais parce que c'étaient les seuls qui n'utilisaient pas le commerce pour essayer d'apporter le christianisme au Japon. Ils avaient essayé avec les Espagnols et retrouvaient des croix et des symboles cachés sur la plupart des marchandises que ces derniers essayaient de leur vendre.

Et selon toi, pourquoi les Espagnols voulaient à tout prix faire rentrer leurs marchandises avec Jésus au Japon ? Pour exactement la même raison que les Britanniques ont décidé de droguer tout un peuple. La guerre ne se mène pas de front. Elle se fait avec des proxys. Tu fais rentrer une idéologie dans un pays et tu la laisses faire tout le travail pour toi. Ce sont des techniques aussi vieilles que le monde. Des techniques qui ont marché comme sur du papier à musique en Afrique et continuent toujours de marcher d'ailleurs.

Pourquoi je te parle de tout ça, tu te demandes ? Parce que chaque fois qu'un Africain veut justifier une bêtise, il se plaint du gouvernement, de la société en place, des choses qui ne marchent pas. Il ne se demande jamais qui est derrière tous ces problèmes structurels qui finissent par le pousser à faire toutes ces bêtises comme abandonner ses enfants pour aller en Occident, risquer sa vie entre la traversée du Sahara et de la Méditerranée, ou encore faire un enfant pour avoir des papiers. Si l'empereur Daoguang avait été camerounais, il aurait fait exécuter tous les Chinois accros à l'opium au lieu de s'attaquer à l'Empire britannique qui était clairement en train d'essayer de déstabiliser la Chine. Et ce faisant, il aurait fait exactement ce que les Britanniques attendaient de lui : créer une division entre le peuple et ses leaders. Si les leaders japonais étaient africains, ils auraient laissé les Espagnols vendre leurs produits estampillés du Christ en se disant que chacun a le libre arbitre, sans se rendre compte qu'il est difficile pour un peuple de se battre contre une idéologie qui n'a besoin que de convertir une personne par jour pour avancer, et dont chaque personne convertie est un Japonais ancestral en moins.

Les Noirs sont tellement ignorants qu'ils pensent que fuir l'Afrique pour aller "se battre" en Occident en inventant tout mensonge est un acte de courage. Nous sommes tellement naïfs que nous pensons que nos mensonges passent inaperçus. Nous sommes aveugles au point de penser que des personnes qui sont capables de déterminer le mouvement d'un caillou sur la lune à plus de 300 000 km ne sont pas capables de nous voir arriver dans la Méditerranée à un petit millier de kilomètres.

Personne en Afrique ne se demande à qui profite le crime. À qui profite le fait que toute la population chinoise soit sous l'emprise de l'opium, à qui profite un consulat américain au Japon,, à qui profite une Afrique qui pose le front cinq fois par jour en direction de La Mecque, à qui profite une Afrique christianisée dont les terres stratégiques appartiennent à l'Église catholique ? À qui profite un Cameroun dont tous les meilleurs éléments veulent aller au Canada, à qui profite une Afrique qui continue d'être convaincue qu'il faut aller en Occident pour développer le continent, à qui profite une Afrique dont la diaspora continue d'entretenir le complexe du blanc à coups de photos et de passeports quémandés ? Nous n'arrivons pas à nous poser cette simple question. Parce que contrairement à des peuples comme le peuple chinois et japonais qui pratiquent la réflexion critique depuis des millénaires, nous sommes un peuple simpliste dont la réflexion ne va jamais plus loin que le bout de notre nez.

Ces dirigeants et ce système que nous passons notre temps à fustiger, ce sont les membres de nos familles. Des personnes qui pour la plupart ont étudié dans les mêmes pays d'Occident que cette diaspora qui pense pouvoir mieux faire. Des personnes qui à notre âge ne se sont pas posé les bonnes questions, exactement comme nous le faisons aujourd'hui. Des personnes qui ont abandonné leurs cultures pour un café sur une terrasse parisienne comme nous le faisons aujourd'hui. Des personnes à qui nous allons ressembler dans quelques années si nous ne commençons pas à nous poser les bonnes questions dès à présent. Car notre problème ce n'est pas eux, c'est l'opium qui nous est servi à volonté par le vrai maître à bord. Et continuer de penser que nous devons partir pour nous en sortir, continuer de penser que nous devons mettre notre dignité aux toilettes, continuer de penser que la diaspora pourra un jour faire quelque chose pour l'Afrique, c'est la preuve que nous ne manquons pas notre rendez-vous quotidien chez le dealer du coin. Et que jusqu'ici son plan marche comme sur des roulettes.


Douala 🇨🇲

Pourquoi j’ai désactivé les commentaires sur mon blog

Aujourd’hui, j’ai reçu un beau message de Raoul, qui voulait rebondir sur mon texte d’hier. En parcourant mon blog, il s’est rendu compte, comme toi peut-être, que j’ai désactivé les commentaires. Il a aussi lu mon texte sur le droit de réponse, présent sur toutes les pages de mon blog, et a trouvé que c’était une belle leçon.

Je me suis dit qu’il était peut-être temps de reparler un peu de ce texte. Je t’invite d’ailleurs à aller le lire ou le relire. Parfois, certaines personnes me disent que j’ai désactivé les commentaires parce que je ne veux pas entendre l’avis des autres. Ces remarques me font toujours sourire.

Désactiver les commentaires sur mon blog est l’une des meilleures décisions que j’ai prises quand je me suis remis à écrire. Écrire, en soi, demande déjà beaucoup d’énergie. Écrire tous les jours, encore plus. Si à cela je devais rajouter la charge mentale de ce que les gens pourraient dire en commentaire, cela deviendrait juste ingérable.

Tu pourrais me dire que je pourrais ignorer ces commentaires et avancer. Mais moi, je peux faire encore mieux : éviter qu’ils apparaissent tout court.

Si tu me connais bien, tu sais que je ne me défile jamais devant un débat. Au contraire ! Ce n’est donc pas parce que je ne veux pas entendre ton point de vue que j’ai désactivé les commentaires. Des points de vue différents, j’en lis tous les jours : dans des livres, des magazines, des journaux, et sur d’autres blogs comme le mien.

Par contre, j’ai décidé de ne plus écouter le point de vue de quelqu’un qui n’a pas pris le temps d’organiser ses idées. Si tu as vraiment quelque chose à dire sur un sujet, écris-le pour la postérité. Ne viens pas réagir en commentaire simplement parce que tu n’es pas d’accord avec moi. C’est trop facile.

Comme je l’ai écrit dans mon texte sur le droit de réponse – qui, avec du recul, est vraiment un beau texte – si tu veux vraiment répondre à l’un de mes articles, fais-moi parvenir un courrier. Ce n’est pas si compliqué. Plutôt que de rédiger un commentaire enragé, ouvre Word, Pages, ou un autre logiciel de traitement de texte. Rédige ta réponse. Imprime-la et envoie-la-moi par la poste. Mon adresse postale est Ronel Kouakep, BP 457 Douala, Cameroun. Je te garantis que je prendrai ta réponse au sérieux et que tu recevras une réponse en retour.

Tu veux savoir combien de courriers j’ai reçus jusqu’à aujourd’hui, malgré la centaine de textes controversés que j’ai publiés ? Zéro. Nada. Pas parce que tous mes lecteurs sont d’accord avec moi. Non. Mais parce qu’il suffit d’ajouter un palier de difficulté pour éliminer la plupart des Africains de tout travail de réflexion.

Utiliser ton droit de réponse te prendrait tout au plus deux heures et coûterait moins de 1 000 FCFA. Beaucoup moins que le temps que tu passes chaque jour à scroller bêtement sur les réseaux sociaux, et beaucoup moins que ce que tu dépenses pour une seule tasse de café.

Et pourtant, c’est tout ce qu’il faut pour te maintenir dans cette sempiternelle position d’observateur. Cette place d’Africain qui regarde l’histoire s’écrire sous ses yeux, sans jamais y participer.


Douala 🇨🇲 

Sacrifier ses enfants pour le paradis du blanc

L’année dernière, lors d’une discussion avec maman, elle m’a raconté une histoire qu’elle ne m’avait jamais partagée. En 2011, on lui aurait proposé un réseau de voyage "sûr" pour aller travailler dans une famille en Angleterre. Le plan était d’utiliser le passeport d’une dame de son âge qui lui ressemblait et disposait déjà d’une autorisation d’entrée sur le territoire britannique.

À l’époque, j’étais dans ma première année en Occident. Elle vivait seule avec mon petit frère, qui était au secondaire et déjà assez turbulent. Si elle avait accepté, elle aurait dû laisser son fils au pays, en espérant qu’il ne sombre pas dans la délinquance pendant qu’elle se battrait, pendant des années, pour obtenir des papiers et espérer un jour revenir au pays ou envoyer un peu d’argent pour l’entretenir.

Devant une telle proposition, la plupart des mamans auraient sauté sur l’occasion. Apparemment, il vaudrait mieux laver les culs des blancs en Occident et être appelée mbenguiste à son retour au pays, que de rester et se concentrer sur l’éducation de ses enfants. Seulement, ma mère, elle, est digne. Elle n’a pas hésité à refuser, malgré les "bons" conseils de tout son entourage.

Si elle avait accepté, peut-être que 14 ans plus tard, aujourd’hui, elle aurait déjà obtenu ses papiers. Peut-être qu’elle aurait économisé assez d’argent pour se construire une maison au village. Peut-être qu’elle se serait battue pour trouver un réseau pour faire venir son fils. Ou peut-être qu’elle serait déjà morte : morte d’une maladie contractée dans un environnement étranger, morte de chagrin en voyant son fils sombrer dans la dérive après son départ, morte de la solitude dans un monde sans repères. Nous ne le saurons jamais.

Mais une chose est sûre : elle n’aurait pas gardé sa dignité si elle avait accepté cette proposition. Et là, tu te demandes peut-être si on mange la dignité, si elle donne de l’argent. Laisse-moi te répondre : la dignité donne bien plus que de l’argent. C’est parce qu’elle a gardé sa dignité que je peux me permettre d’écrire ce texte aujourd’hui. C’est grâce à cette dignité que je peux dire ce que je pense, sans subir d’injustices en silence. C’est cette dignité qui fait de toi ou de moi un homme vraiment libre.

À la même époque, quand je suis arrivé en France, je me suis rendu compte que c’était presque un sport national pour les mamans camerounaises. Elles laissaient leurs enfants au pays pour venir "se battre" en Occident. Leur mission ? Trouver un vieux blanc qui leur ferait un enfant métisse ou qui accepterait de reconnaître leurs enfants restés au pays pour faciliter leur venue.

La situation allait tellement loin qu’à la préfecture de Chambéry, ils avaient identifié un vieux blanc instable mentalement, père d’une demi-douzaine d’enfants de Camerounaises. Ces femmes, après avoir commencé leur vie au Cameroun, étaient venues en France et avaient couché avec ce vieillard pour obtenir un bébé et, avec lui, un titre de séjour.

Si tu te demandes encore pourquoi je n’ai pas beaucoup d’espoir dans cette diaspora pour sauver l’Afrique, je pense que tu commences à comprendre. Beaucoup d’entre eux n’ont pas la légitimité pour porter ce combat. Ils se sont tellement embourbés dans des compromissions pour en arriver là qu’ils préfèrent faire profil bas jusqu’à leur mort.

Le pire, c’est que ce phénomène continue. Je vois encore des mamans au Cameroun abandonner leurs enfants en bas âge pour aller s’occuper de personnes en fin de vie en Occident, laissant leurs petits livrés à eux-mêmes dans un système qu’elles jugent elles-mêmes compliqué. Tout cela, au nom de l’argent et du titre de Canadienne, Française ou Statoise

Et dans tout ça, nous voulons que les autres peuples nous respectent ?


Douala 🇨🇲 

Esclaves Libres : Le Syndrome de l’Institutionnalisation

Dans son autobiographie Un long chemin vers la liberté en 1995, Nelson Mandela écrivait : "La prison avait créé chez certains une dépendance qui les rendait incapables d'affronter le monde extérieur. Certains hommes ne supportaient pas l'idée d'être rendus à la liberté car la prison était devenue leur maison ; ils étaient conditionnés à leur cage.”

Il abordait les effets de l'institutionnalisation sur certains prisonniers de longue durée qui, même une fois libérés, trouvaient difficile de s'adapter à la liberté. C'est un phénomène qu'on appelle parfois le syndrome carcéral ou syndrome de l’institutionnalisation.

C’est la raison pour laquelle, beaucoup d’esclaves américains, une fois libérés, ont continué de travailler pour leurs anciens maîtres. Ils s’étaient habitués à leur condition, bien que les conditions aient changé. Et ce phénomène, les personnes intelligentes le savent. Il suffit d’exercer une pression constante sur un point pendant un certain temps pour que, des années après avoir relâché cette pression, les effets continuent de se faire ressentir, souvent des centaines d’années après.

Et là, tu te demandes certainement où je veux en venir. Je veux en venir à nos comportements de tous les jours : nos comportements d’esclaves libres. Je pourrais te donner des centaines d’exemples, mais laisse-moi te parler du plus récent.

Hier, dimanche 12 janvier 2025, à Yaoundé, au stade annexe Omnisports à 14h, se jouait une rencontre de football prestigieuse. Le Canon Sportif de Yaoundé recevait Coton Sport de Garoua dans le cadre de la 7e journée du championnat d’Elite 1. Mais dans mon entourage, personne n’en a parlé. Sur les réseaux sociaux, dans la communauté camerounaise dont je fais partie, tout le monde ne parlait que d’autre chose : la finale de la Supercoupe d’Espagne, opposant le Real de Madrid et le FC Barcelone, le même jour, à un peu plus de 18h.

Durant toute la journée, j’ai vu des personnes qui n’ont jamais mis les pieds en Espagne et qui mourront certainement sans jamais y mettre les pieds professer leur amour pour l’un ou l’autre club. La seule journée d’hier a généré plus de publications sur cette finale que toute l’année 2024 sur les élections présidentielles qui auront lieu dans quelques mois.

J’ai vu des gens se faire appeler madrilène ou barcelonais, alors qu’ils ne connaissent même pas le nom de l’équipe de football de leur village. J’ai vu des panafricains se déchirer entre eux en commentaires pour deux clubs qui ont un total mépris pour les africains. Deux villes qui ne savent même pas qu’ils existent et qui n’en ont rien à faire d’eux.

L’année passée, je me suis indigné du comportement de ces clubs de football européens qui ignorent complètement leurs supporters africains. En l’occurrence, Manchester City, qui avait fait une tournée mondiale pour présenter son trophée en prenant soin de n’inclure aucune date africaine. J’ai même lancé une pétition sur le sujet pour éveiller les consciences. Mais jusqu’à présent, elle n’a reçu que trois signatures, dont la mienne. Oui, nous sommes prêts à mourir pour ces clubs qui nous crachent dessus. Et on s’attend à ce qu’on nous respecte.

Même en Espagne, en dehors de Madrid et Barcelone, ce match n’a pas suscité autant d’émoi que dans nos villes africaines. Nous voulons être plus royalistes que le roi. Au point où nous avons composé des musiques en l’honneur de ces deux clubs et nous en vantons comme des petits bouffons.

Quand on veut demander aux jeunes de se battre dans ce pays, la première phrase qui sort de leur bouche, c’est : “l’État n’encourage pas les jeunes dans ce pays”. C’est cet État-là qui vous a demandé d’aller lécher les bottes de ces clubs ? C’est lui qui vous empêche de soutenir vos clubs respectifs dans vos villes natales? C’est lui qui vous demande de mémoriser des mots en espagnol alors que vous ne connaissez même pas un mot de Duala ?

Aujourd’hui, pour montrer notre allégeance à un maître qui ne nous considère même pas, nous dépensons des milliards en faux maillots et goodies provenant de Chine, alors que nous aurions pu investir cet argent dans nos équipes locales, sur nos frères et sœurs qui jouent ici pour notre plaisir. Après, c’est encore nous qui allons ouvrir nos larges bouches pour dire que le football ne paie pas au pays. Que j’y prenne encore quelqu’un !

Le comble, c’est que même les footballeurs locaux que tu veux défendre sont encore pires. Comme disait Etienne de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire en 1576: "Ils disent qu'ils ont toujours été sujets, que leurs pères ont vécu ainsi ; ils pensent qu'ils sont tenus d'endurer le mal et se font des exemples ; ils fondent eux-mêmes, sous la longueur du temps, la possession de ceux qui les tyrannisent.”


Douala (Home of Nassara Kamakaï) 🇨🇲  

Ne deviens pas la cible idéale

Cette semaine, un pote m’a appelé pour me parler d’un de mes vieux textes. Le texte où je dénonçais une injustice qui m’était arrivée. Et dans la discussion, il m’a demandé si je n'avais pas encore été approché par les gars des couloirs au pays. Apparemment, le pays est géré par les couloirs, et les gars recrutent à tours de bras, et ils sont friands de personnes comme moi avec un gros potentiel.

Si jusqu’à présent tu n’as pas compris de quels couloirs il s’agit, reste avec moi, peut-être que tout sera clair d’ici la fin du texte.

Alors, je lui ai dit que non. Que jusque-là, je n’avais été approché par personne et n’avais encore reçu aucune proposition indécente. Dans ma tête, c’est sûrement parce qu’en dehors de mon entourage proche, personne ne me connaît. Mais il était vraiment surpris, car selon lui, une personne comme moi est la cible idéale. Un cerveau, comme il dit !

Et là, j’ai commencé à réfléchir. Naïvement, mon cerveau n’était jamais allé là-bas. Et rapidement, j’ai formulé une hypothèse. Une hypothèse qui, avec du recul, me semble de plus en plus plausible. Je lui ai dit que le fait que j’écrive tous les jours et que mes textes soient souvent très personnels pouvait décourager les gens. Personne ne veut se retrouver sur mon blog quelques jours après m’avoir fait une proposition indécente. Du coup, chacun prend ses distances.

Nous n’en saurons jamais rien. Mais je pense, comme je l’ai expliqué à mon pote, qu’il est plus facile de draguer une femme discrète que de draguer celle qui affiche sur son statut tous ses dragueurs du jour. Personne ne veut être affiché comme ça. Et si souvent certaines personnes ont le courage de faire des avances aux femmes de leurs amis, c’est parce qu’elles ont au préalable senti qu’entre les deux, la communication n’était pas très fluide. Même comme il y a quand même quelques sorciers dehors qui s’en foutent de ça.

Il y a quelques mois, Flavien passait son temps à me dire que je ne peux pas tout dire sur moi. Beaucoup de personnes m’ont dit que je partageais beaucoup trop de détails sur ma vie. Et je peux comprendre que ça implique quelques risques. Mais comme je dis souvent, on vit à une époque où, si quelqu’un veut vraiment avoir toutes les informations sur toi, ce n’est qu’une question de temps. En fait, le meilleur moyen pour toi de cacher certaines informations est d’en divulguer le maximum. Les gens n’iront pas chercher ce qu’ils croient savoir. La meilleure cachette est en pleine vue. Le seul endroit où personne n’ira chercher.

Cependant, avoir une politique de transparence te protège de certains dangers invisibles. Un peu comme la fille habillée comme une grand-mère qui sera moins la cible de violeurs que celle qui s’habille de façon provocante.

Quand personne ne sait si tu pourras garder une proposition indécente pour toi ou la partager avec le monde, chacun prend ses distances avec toi. Et pour ce genre de propositions, le meilleur moyen de s’en sortir, c’est d’éviter qu’elles n’arrivent à toi. Car une fois qu’on te propose, soit tu acceptes et tu fais partie de quelque chose dont tu n’aurais pas aimé faire partie, soit tu refuses et maintenant que tu connais leur secret, tu deviens la cible à abattre. C’est franchement mieux que personne ne t’approche.

Ça me rappelle ce qui m’est arrivé à l’université de Douala en 2006. Fraîchement sorti du lycée avec une réputation d’ambianceur, je me suis retrouvé en première année philosophie-psychologie à l’université, dans une classe d’une cinquantaine d’étudiants dont je sortais directement du lot par ma jeunesse, ma coupe de cheveux en afro et mes blagues pendant les heures de cours. Je me suis rapidement fait accoster par un groupe d’étudiants dans la classe. Des personnes décidément très vieilles pour être encore en première année d’université. Et cette bande a rapidement lié des liens avec moi, m’invitant à les rejoindre au chaba pendant les heures de cours, me disant que je pouvais compter sur eux si je voulais rencontrer n’importe quel professeur, m’invitant à manger au beignetariat chaque soir après les cours et me promettant de pouvoir m’aider à trouver un job étudiant. Il ne m’a pas fallu plus d’un mois pour commencer à me rendre compte de ce qui se passait. J’étais clairement dans un processus de recrutement. À quoi, je ne savais pas. Et franchement, à ce niveau, je n’avais pas envie de savoir. Mes options étaient devenues extrêmement minces. Ils étaient dans ma classe. J’allais me les coltiner toute l’année. Leur dire non n’allait pas me rendre la vie facile. Et leur dire oui était hors de question. La seule issue était de quitter la scène. Et c’est ainsi que j’ai annoncé à maman que s’achevait ma carrière à l’université de Douala.

J’avais fait une seule erreur, celle d’être le profil idéal. Et une fois que la bête s’est approchée, il ne me restait plus grand-chose à faire. Et souvent, notre meilleur mécanisme de défense est de tout faire pour ne pas ressembler au profil idéal. C’est la raison pour laquelle les puristes de l’islam voilent leurs femmes. C’est la raison pour laquelle, dans certains pays, les filles ont les cheveux coupés à l’école. C’est la raison pour laquelle les écoles ne veulent pas de tenues trop sexy pour les élèves. C’est la raison pour laquelle j’évite d’avoir une relation très proche avec les femmes de mes frères et amis. Il suffit de rien pour devenir le candidat idéal de la mauvaise institution, et crois-moi, dès que tu le deviens, tout devient extrêmement compliqué pour toi.

Mon conseil pour toi, si tu ne veux pas te retrouver dans des situations compliquées, c’est de tout mettre en œuvre dès maintenant pour ne pas devenir le candidat idéal de ce que tu n’aimerais pas avoir dans ta vie. Tu crois qu’un autre pays peut essayer de venir me recruter aujourd’hui pour trahir le Cameroun ? Je ne pense pas. Ils savent que l’affichage sera de taille la minute d’après.


Douala 🇨🇲 

Les entrepreneurs princesses du Cameroun

Aujourd’hui, j’ai envie de te parler d’un phénomène qui me dépasse complètement au Cameroun. Peut-être que toi aussi tu l’as déjà remarqué. J’ai l’impression que beaucoup de personnes qui vendent un produit ou un service ici pensent qu’ils font une faveur à leurs clients.

Je ne peux même pas compter le nombre de fois où j’ai contacté un entrepreneur pour un produit ou un service vu sur internet et que j’ai dû relancer, simplement parce qu’ils attendaient sagement que je revienne vers eux. Chez Le Porc Braisé, par exemple, nous avons une politique de communication proactive. Nous faisions en sorte d’être tellement présents dans la vie de nos clients que certains nous écrivaient après un mois pour se plaindre que nous les avions « abandonnés ». Même si nos clients ne peuvent pas manger du porc tous les jours, nous faisions tout pour rester dans leurs esprits, créant même cette envie par notre communication.

Mais ici, je contacte un entrepreneur pour un service, il me répond deux jours plus tard. Patient, j’explique mon souci et demande un rendez-vous. Le gars m’impose des horaires, style Beyoncé, comme s’il faisait un chiffre d’affaires de plusieurs millions par mois. Et quand je lui propose un autre créneau, il me répond… le lendemain ! Tu creuses un peu, tu te rends compte qu’il peine à faire 200.000 FCFA mensuels.

Tu vois un produit intéressant sur une image, tu contactes le producteur pour manifester ton intérêt, et il reste tranquillement dans son salon à attendre que tu viennes lui donner ton argent. Aucune relance, rien. Moi, je t’aurais mis dans mon agenda, avec au moins dix relances planifiées, avant de lâcher l’affaire !

Nous avons beaucoup trop d’ “entrepreneurs princesses” dans ce pays. Des enfants pourris gâtés qui pensent que c’est au client de faire tous les efforts. Cette mentalité est exactement pourquoi nous n’arrivons pas à produire de belles success stories.

Prenons l’exemple de Sara Blakely, la fondatrice de Spanx. À ses débuts, elle n’avait pas d’argent pour de la publicité ni de gros partenaires pour promouvoir ses produits. Elle parcourait les magasins pour convaincre des vendeurs de mettre ses gaines dans leurs rayons. Elle assistait à des conférences, prenait des rendez-vous avec des acheteurs qu’elle harcelait littéralement jusqu’à ce qu’ils acceptent de la recevoir. Elle allait même jusqu’à démontrer son produit dans les toilettes des magasins pour prouver son efficacité. Aujourd’hui, Spanx est une marque mondiale et Sara Blakely est devenue la plus jeune milliardaire self-made d’Amérique selon Forbes. Mais elle n’aurait jamais atteint ce niveau si elle s’était assise dans son salon en attendant que les clients viennent à elle.

Si nous lisions davantage de ce type d’histoires, nous comprendrions que le succès demande de l’effort et une immense détermination. Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre que le client nous tombe tout cuit dans les bras. Ce n’est pas ainsi que les grands empires se construisent.

Si nous voulons un jour créer des empires capables de conquérir le monde, il est temps de revoir notre approche. Sans clients, il n’y a pas de business. Même dans ton rêve, si tu aperçois un potentiel client, ne te réveille pas sans lui avoir vendu ton produit. Mets ton produit entre les mains d’un maximum de personnes, à tout prix. C’est seulement ainsi que tu pourras recueillir suffisamment de feedback pour l’améliorer, et surtout le capital nécessaire pour faire grandir ton entreprise.

En 2023, 77 % des revenus d’Alphabet (maison mère de Google) provenaient de la publicité, soit 237 milliards de dollars. C’est ce que les entrepreneurs du monde entier ont dépensé chez Google pour attirer l’attention sur leurs produits et services. Et pendant ce temps, nous, ici, nous restons passifs, en attendant que le client nous relance. Puis, après, on part au Canada dire que “le pays est dur”.


Douala 🇨🇲

Deuils sur la voie publique : quand le respect des morts étouffe les vivants

Nous avons, en tant qu’Africains, une étonnante propension à la plainte. Comme des enfants immatures, nous rejetons souvent la faute de tous nos malheurs sur les autres, rarement sur nous-mêmes. Enfin, presque jamais.

Hier, c’était jeudi. Et si tu as passé quelques années au Cameroun, tu sais probablement que le jeudi est synonyme de levées de corps. C’est le début de la dernière ligne droite des deuils avant les enterrements, généralement prévus pour le samedi. Mais s’il y a une habitude que nous n’avons pas attendue pour adopter, c’est celle de bloquer les routes pour y installer des bâches de deuil.

Je n’ai jamais compris cette pratique. Nous nous plaignons déjà du manque criant de routes et d’infrastructures dans nos villes. Pourtant, nous n’hésitons pas à paralyser des boulevards entiers pour pleurer une personne, souvent inconnue de la majorité, et qui, si on cherche bien, n’a probablement jamais rien fait pour améliorer ce pays. Une personne qui, si elle s’était battue de son vivant pour le développement du Cameroun, n’aurait jamais accepté qu’on cause autant de désagréments pour son départ.

Penses-y. Bloquer une route pour un deuil engendre des risques énormes : des urgences médicales qui ne peuvent être prises en charge à temps, des pertes financières pour une économie déjà fragile, et un stress inutile pour des milliers d’usagers. Comment pouvons-nous justifier que, pour un cadavre, des vies actives soient autant perturbées ?

Hier, en rentrant du bureau, j’ai vécu cette situation. Une voie principale, déjà saturée tous les soirs, était totalement bloquée pour un deuil. Le chaos dans les voies de contournement était indescriptible. Les embouteillages étaient tels que j’ai compté une dizaine de policiers, dont un commissaire, mobilisés pour tenter de gérer la situation. Tout ça pour un deuil !

Ce qui me sidère encore plus, c’est que cela ne dérange personne. Ni les usagers, contraints de subir ces désagréments chaque jeudi, ni les participants qui s’assoient dans des bâches en pleine route pour pleurer une personne qu’ils ne connaissaient souvent même pas. On dirait que nous vivons dans un gigantesque zoo.

Personnellement, je ne tolère plus ce genre de comportements. Depuis plusieurs années, j’ai pris la décision de ne plus assister à un deuil organisé sur la voie publique. Et aujourd’hui, je t’invite à réfléchir. Ces petites habitudes auxquelles tu participes inconsciemment contribuent-elles à faire de ton pays le paradis dont tu rêves ? Parce que ce pays, nous le bâtissons à travers nos actes quotidiens, même les plus banals.


Douala 🇨🇲 

Le meilleur investissement de ta vie : Toi-même

"Le meilleur marché boursier dans lequel vous pouvez investir, c'est vous-même. Découvrir cette vérité vaut mieux que découvrir une mine d’or." - Byron Katie.

Cette citation de Byron Katie rejoint la philosophie de Warren Buffet, l’un des plus grands investisseurs de tous les temps, qui affirme que le meilleur investissement qu’on puisse faire est celui qu’on fait sur soi.

C’est le début d’année, et tu as certainement pris tout un tas de résolutions cette année encore, dont celle de te faire beaucoup d’argent. Mais ce que la plupart d’entre nous oublions souvent, c’est que l’argent, c’est comme l’agriculture. Tu dois investir quelques graines dans le sol et y consacrer un peu de temps pour obtenir, quelques mois plus tard, un champ plein de fruits, desquels tu pourras retirer d’autres graines à réinvestir. Enfin, c’était ce qu’était l’agriculture avant que Satan n’entre au labo pour nous sortir des fruits sans graines.

Et si cette année, pour une fois, tu décidais d’investir sur toi ? D’investir dans ce cours qui te permettrait d’acquérir une nouvelle compétence. D’investir dans ces livres qui expliqueraient plus en détail ce concept qui te taraude l’esprit. D’investir dans ta santé afin d’avoir le moins de jours off possible cette année. D’investir dans ta famille afin qu’elle continue d’être ton plus grand soutien. D’investir dans ta communauté afin de mieux t’y épanouir. D’investir dans ton pays afin qu’il t’offre encore plus de ce qu’il t’a donné jusqu’à aujourd’hui. Et si cette année, tu pariais sur toi ?

Il y a quelques années, sur la photo de profil de mes comptes en ligne, il était marqué “Ronel Kouakep, Hustler & Investor.” Certaines personnes, en lisant "Investor", pensaient que j’étais un investisseur spécialisé sur les marchés financiers ou autres. Une personne très proche de moi est même allée jusqu’à se moquer de moi, disant que je fais croire aux gens que je suis un investisseur alors que je suis pauvre. Tout cela me faisait doucement sourire, car il est juste impossible pour une personne de comprendre des choses qui dépassent son niveau d’entendement. Un peu comme un enfant qui dirait qu’il est impossible de diviser 2 par 3.

Et pourtant, dans cette période de ma vie, j’étais en effet un investisseur. J’investissais tout ce que j’avais sur moi. J’étais mon propre marché boursier. À cette époque, j’ai acheté pour plus de 5.000€ de livres. J’ai investi des heures à apprendre l’étiquette, à savoir comment les riches le deviennent et comment ils vivent. J’ai passé des heures à m’éduquer sur la santé et le sport. J’ai investi énormément pour rencontrer un maximum de jeunes intéressants dans mon pays. J’ai voyagé vers mon pays à plusieurs reprises pour ne jamais laisser cette distance se créer entre lui et moi et pour toujours rester au fait de son évolution. J’ai investi dans la plupart des jeunes de mon entourage qui avaient le moindre projet, car je savais que c’était le meilleur moyen pour moi de comprendre leurs réalités. J’ai investi dans bien d’autres aspects de ma personne, ce qui a contribué à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui.

Aujourd’hui, je suis dans une autre phase de ma vie. Mais je continue d’investir d’abord sur moi. Et je t’invite à faire de même cette année. C’est certainement la meilleure chose que tu puisses faire cette année et qui portera des fruits pour le reste de ta vie.


Douala 🇨🇲 

Se réapproprier nos noms : un combat pour notre identité

Souvent, je me demande si certains Noirs ont reçu le mémo qui dit que l’esclavage est fini. L’année passée, j’ai écrit un texte qui parlait de cette scène de Racines où le héros recevait des coups de fouet parce qu’il refusait de se faire appeler Tobie, le nom imposé par son maître blanc, et persistait à vouloir se faire appeler Kunta Kinté. Son vrai nom, donné par ses parents en Afrique.

J’ai l’impression que, jusqu’à présent, beaucoup d’Africains ne comprennent pas le message qu’Alex Haley a voulu transmettre avec ce passage de son livre.
Ton nom fait partie intégrante de ton identité, il a souvent une signification dans ta culture et te positionne au milieu des tiens. T’enlever ce nom, c’est te voler une grande partie de ton identité, ta culture, et te déraciner. Et nous savons tous ce qu’il advient d’une plante déracinée.

Ce n’est pas un hasard si tous les esclaves se voyaient attribuer de nouveaux noms. Ce n’est pas un hasard si, dans la Bible, Jésus a renommé ses disciples. Ce n’est pas un hasard si, dans la plupart des religions, après ton baptême, on te donne un nouveau nom. Comme je dis souvent, nous, Africains, faisons face à des peuples qui manient la stratégie depuis des millénaires. Nous ne pouvons pas nous en sortir si nous continuons de refuser de réfléchir et pensons que nous allons juste profiter des autres.

Aujourd’hui, après des années de colonisation occidentale sur le reste du monde, les Africains sont ceux qui persistent le plus à perpétuer cette tradition barbare de donner des noms de l’ancien oppresseur à leur descendance. Au point où, quand j’ai pris la décision que tous mes enfants auraient des prénoms africains, la plupart des gens de mon entourage me demandaient s’il existait des prénoms africains.

Nous sommes tellement aveuglés par l’argent et tout ce qui brille que nous oublions que, dans cette grande partie d’échecs qu’est la survie sur Terre, tout acte posé doit avoir une portée hautement stratégique. Il suffit qu’un producteur à Hollywood décide de faire diffuser en grande pompe une série sur les petits écrans africains pour que nous ayons toute une génération de Vanessa et de William. Et, d’un simple geste, des pans entiers de notre culture disparaissent.

Mais si seulement cette bêtise s’arrêtait aux prénoms de nos enfants… Non, nous avons décidé de pousser le vice encore plus loin. Au-dessus de nos prénoms d’esclaves, nous avons décidé de nous faire appeler le Canadien, le Français, l’Italien. Comme si être Camerounais, Malien ou Tanzanien était une honte.

Animés par un complexe d’infériorité qui n’a d’égal que notre immense bêtise, nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons commencé à renommer nos quartiers avec des noms empruntés d’ailleurs : Denver, Santa Barbara, Saint-Tropez… Et ensuite nos business : Toronto Repair Store, Restaurant La Toulousaine, L’Américaine Cosmétiques… Et, comme s’il fallait absolument faire plaisir à cet ancien oppresseur en lui montrant que nous continuons fièrement le travail de destruction identitaire qu’il avait commencé, nous nous sommes attaqués à nos propres écoles : Groupe Scolaire La Marseillaise et toutes ces écoles qui portent des noms ridicules, dont le seul enseignement que les enfants y apprendront est qu’ils doivent aller à la source de ce nom. Comment peut-on attendre d’un enfant qu’il se batte pour son pays quand il a fait toute sa scolarité au Lycée Leclerc au lieu du Lycée Manga Bell ?

Oui, moi aussi je porte, avec mon prénom, les cicatrices d’un passé colonial qui me rappellent à quel point il est important de se battre pour son identité, pour sa culture. Mais, contrairement à la plupart d’entre nous, j’ai décidé que cette chaîne s’arrêterait avec moi. De ne pas être le complice de l’oppresseur de mes ancêtres et de leur montrer, à ces ancêtres, que leur combat n’a pas été vain. Pour cela, j’ai juste besoin d’ouvrir mon cerveau et de revenir à la raison. Et je t’invite vivement à me rejoindre dans ce combat pacifique et intelligent.


Douala 🇨🇲 

L'Afrique en péril : Comprendre la compétition pour la survie de l'espèce

Quand je dis souvent que si nous ne faisons rien, nous, en tant qu’Africains, allons disparaître, certaines personnes trouvent que j’exagère et qu’il est quasiment impossible que cela arrive. Aujourd’hui, sans tirer sur personne, j’aimerais approfondir un peu la question.

Jusqu’ici, les scientifiques s’accordent à dire que la fonction ultime du cerveau est celle de la survie de l’espèce. Avant toute chose, ton cerveau, et celui de tous les autres types d’organismes, a pour but principal de te maintenir en vie et de faire en sorte que des comme toi, il y en ait toujours. Raison pour laquelle il va te pousser à te nourrir et à te reproduire, entre autres.

Cependant, les scientifiques estiment que 99 % des espèces ayant existé sur Terre sont aujourd’hui éteintes. Sur les 2 à 4 milliards d’espèces qui ont jamais vécu sur Terre depuis l’apparition de la vie sur notre planète il y a 3,5 milliards d’années, il en resterait moins de 9 millions. C’est te dire que ce n’est pas un jeu auquel on gagne facilement. C’est néanmoins un jeu infini sur lequel il faut s’appliquer.

L’un des problèmes physiques liés à toutes ces disparitions est l’espace disponible. La Terre est une entité finie. Cela veut dire qu’elle ne peut abriter et nourrir qu’un certain nombre d’individus. Du coup, la plupart des espèces qui y vivent sont en compétition pour les ressources. Avec l’évolution, les espèces ont commencé à s’organiser dans une chaîne alimentaire où certaines sont des ressources pour d’autres. Mais un équilibre strict doit être respecté pour éviter des disparitions prématurées d’espèces. Chacun, dans son coin, développe (à l’aide de son cerveau) des stratégies de plus en plus efficaces pour maintenir un certain équilibre en sa faveur afin de vivre le plus longtemps possible en tant qu’espèce.

Une de ces stratégies a été l’invention de l’agriculture par Homo sapiens. Avec l’agriculture et l’élevage, nous avons pu résoudre de façon quasi définitive la question des ressources pour se nourrir. Tout ce qu’il nous restait à faire, c’était d’essayer de ne pas mourir prématurément et de se reproduire à souhait. Cette simple stratégie nous a libéré de la bande passante, et notre cerveau a commencé à dépenser beaucoup moins d’énergie sur comment manger et beaucoup plus sur tout le reste. Et en un rien de temps, nous sommes devenus l’une des espèces les plus intelligentes sur Terre, bien qu’étant l’une des plus récentes. Les cerveaux des crocodiles et des requins, par exemple, qui étaient là bien avant les dinosaures, il y a plus de 200 millions d’années, continuent d’allouer une très grande partie de leur bande passante à la nourriture et à la reproduction.

Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir développé des stratégies révolutionnaires. D’ailleurs, je pense que nous avons inventé l’agriculture uniquement parce que les plantes, plusieurs millions d’années avant, avaient déjà inventé une stratégie encore plus efficace. Une stratégie qui fait que, malgré qu’elles soient immobiles contrairement aux animaux, les plantes soient les êtres vivants qui ont le règne le plus important sur Terre. Elles sont partout !

Cette stratégie a été de donner quelque chose aux animaux afin qu’ils emmènent (enfin, leurs graines) conquérir de nouveaux territoires. C’est la raison pour laquelle les graines des plantes sont contenues dans des fruits qui sont pour la plupart sucrés et aux belles couleurs. Ne pouvant pas bouger, les plantes ont compris qu’il n’y avait que les animaux mobiles qui pouvaient porter leurs espèces ailleurs afin d’éviter une disparition si leur milieu naturel de départ venait à être menacé.

Si ça se trouve, ce ne sont pas les hommes qui ont dompté les plantes via l’agriculture, mais les plantes qui nous ont séduits afin que nous les aidions à conquérir le monde. Comme le dit Yuval Noah Harari dans Sapiens, il n’y a qu’à voir comment une mauvaise herbe (au départ) comme le blé, uniquement présente au Moyen-Orient, a réussi à devenir aujourd’hui la reine du monde. L’espèce la plus cultivée et présente sur tous les continents. Avant que les hommes ne la cultivent, le blé était plus menacé de disparition que nous, mais aujourd’hui c’est le contraire. Et c’est exactement ça, le jeu infini de la vie. Un jeu que nous, les Africains, n’avons pas encore compris.

Nous sommes des hommes comme tous les autres, certes. Mais nous ne sommes pas les seules espèces d’hominidés à avoir jamais vécu sur Terre. Un peu comme chez les autres espèces d’animaux, nous étions plus nombreux. Et il y a encore 100 000 ans, sur la Terre, coexistaient au moins trois espèces d’hominidés. Où sont passées les autres ? Disparues ! Il ne reste plus que nous, Homo sapiens. Les scientifiques sont un peu indécis sur les causes de disparition des autres espèces, mais on n’exclut pas que, dans une lutte pour les ressources, Homo sapiens ait fait le ménage tout doucement pour rester tout seul. Bien que la nature ait aussi certainement joué un grand rôle.

Tu me diras que nous sommes tous Homo sapiens aujourd’hui. Oui, c’est le cas. Mais l’histoire ne s’écrit qu’avec le recul. Je parie qu’il y a 200 000 ans, tous les hominidés étaient persuadés de faire partie de la même famille. Si ça se trouve, dans 200 000 ans, les livres d’histoire feront la distinction entre Homo sapiens africain, caucasien, asiatique, amérindien, aborigène et je ne sais quoi d’autre. Et c’est tellement plausible que ces distinctions existent déjà aujourd’hui.

Et s’il y a une chose que nous savons de l’histoire, c’est qu’elle a une fâcheuse tendance à se répéter. Toutes les espèces se battent pour leur survie parce qu’elles savent que c’est un cycle qui engloutit toutes celles qui n’y font pas attention. De la même façon que, des grands groupes d’hominidés d’il y a des millions d’années, il n’en est resté que les australopithèques, dont la fameuse Lucy, c’est de la même façon que, des grands groupes d’Homo, il n’en est resté que Homo sapiens et c’est certainement de la même façon que, d’ici quelques années, de ce grand groupe, il n’en restera qu’un. Les Amérindiens et les Aborigènes étant déjà sur le déclin.

Certaines espèces, à cause de leur environnement, développent des caractéristiques plus importantes que d’autres. Et j’ai l’impression qu’Homo sapiens caucasus (le blanc) l’a compris très rapidement. Il y a encore 1 000 ans, chaque type d’homme présent sur Terre vivait dans un environnement très précis : les Caucasiens en Europe, les Arabes au Moyen-Orient, les Asiatiques en Asie, les Amérindiens en Amérique, les Aborigènes en Océanie et les Africains en Afrique. Mais aujourd’hui, si tu observes attentivement la carte, qu’est-ce que tu remarqueras ? Le monde s’est assez bien mélangé. Mais… en Europe, les Caucasiens sont toujours majoritaires. Cependant, ils le sont aussi majoritaires en Amérique et en Océanie. Il n’y a qu’en Asie et en Afrique que les peuples d’il y a 1 000 ans sont encore majoritaires, après avoir lutté farouchement pour une décolonisation (suis mon regard).

Au vu de tout ceci, si je devais parier sur l’espèce qui survivrait dans 10 000 ans, je parierais sur le Caucasien. Et peut-être en cohabitation avec l’Asiatique. Mais comme je l’ai dit au début, la Terre est un espace fini. Elle ne grandit ni ne rétrécit. Chaque espèce qui disparaît laisse son terrain de jeu à celle qui survit. Et selon toi, qui récupérera l’Afrique quand l’Africain aura connu le même sort que l’Amérindien et l’Aborigène ? Réfléchis-y ! Et demande-toi qui sont sur les territoires des amérindiens et des aborigènes actuellement.

Est-ce que nous sommes en guerre les uns contre les autres ? Non ! Nous sommes juste dans une compétition. La même compétition que tu as gagnée quand le petit spermatozoïde que tu étais, dans les bourses de ton père, a été le premier à rentrer dans l’ovule de ta maman. C’est une compétition sans état d’âme où les vainqueurs ont droit à la vie et aux faveurs de la Terre, et les perdants disparaissent.

Est-ce que nous allons disparaître ? Tôt ou tard, oui ! Peut-être plus tôt que tard avec l’avènement de l’IA. Car, pour la première fois sur Terre, une espèce est en train de créer une autre, plus intelligente qu’elle, sans vraiment avoir un moyen de la contrôler ou pour qu’elle travaille indirectement à la survie de l’espèce créatrice. Mais bon, ça, c’est le sujet d’un autre jour.

Oui, nous allons disparaître en tant qu’Africains si nous ne nous réveillons pas. Et beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine. La tendance a d’ailleurs déjà commencé. Petit à petit, nous sommes en train de perdre tous les traits qui faisaient de nous des Africains. Car une espèce existe aussi par ses caractéristiques. Nous sommes tellement aveuglés par le bonheur personnel, une invention d’un être beaucoup plus malin que nous, que nous en avons oublié que, si nous en sommes là, c’est parce que, pendant des centaines de milliers d’années, le jeu auquel nos ancêtres jouaient était celui de la survie de notre espèce et non celui de qui aura la meilleure photo sous la neige.

Si je tire cette sonnette d’alarme, c’est parce que je suis Africain. Et bien que, personnellement, je vais certainement mourir un jour, je n’aimerais pas que mon espèce ne fasse partie de la Terre que dans des livres d’histoire dans quelques milliers d’années. Car si mes ancêtres n’avaient pas fait le nécessaire, je n’aurais jamais été là aujourd’hui et peut-être qu’on parlerait d’eux comme on le fait actuellement pour les Néandertaliens. Nous avons le devoir de survivre et de faire perdurer notre espèce.

Et comme nous l’ont enseigné les plantes, la survie passe par le territoire. Notre meilleure chance de survie est d’avoir notre territoire à nous, et non d’être parsemés par-ci par-là sur des territoires déjà conquis par les autres. Nous avons un territoire : l’Afrique. Le plus grand territoire de terre en continu. Certainement le plus riche en ressources naturelles. Arrêtons de le fuir et commençons à l’occuper de façon sérieuse. C’est notre meilleure chance de survie. Restons chez nous, cultivons nos terres, construisons nos infrastructures, marquons notre présence et faisons le maximum d’enfants possible, oui, reproduisons-nous à souhait. Et donnons-nous le maximum de chances d’être sur le top du podium s’il ne devait en rester qu’un de l’Homo sapiens.

Au cas où les sirènes de l’Occident continuent de te dérouter de ta mission, j’aimerais te partager ces paroles sages de Dan Ariely : “Abandonner nos objectifs à long terme pour une satisfaction immédiate, c’est de la procrastination.” Et tu es d’avis avec moi qu’on ne devrait pas procrastiner quand il s’agit d’une question de vie ou de mort.  

Et rappelle-toi que l’objectif ultime du jeu n’est pas d’avoir la plus belle maison, mais de rester le plus longtemps sur Terre. Les cafards sont là depuis plus de 300 millions d’années, les fourmis depuis plus de 150 millions d’années. Des espèces aux belles demeures et aux tailles imposantes, elles en ont vu apparaître et disparaître par millions. Mais elles, sont toujours là.


Douala 🇨🇲