L'obscurité : L'adversaire invisible de ton succès

La plupart du temps, ton ennemi n’est pas la concurrence, mais l’obscurité.

Nous avons souvent tendance à nous battre pour protéger nos idées, prétendument originales. Nous nous battons contre des adversaires imaginaires sur nos marchés respectifs, alors qu’en réalité, le seul véritable adversaire auquel nous devrions faire face est l’obscurité : le fait que peu de personnes s’intéressent à ce que nous faisons, que notre marché ne soit pas encore assez mature.

En Afrique en particulier, où tout reste à construire, au lieu de nous battre pour contrôler le petit marché existant, nous devrions nous battre pour agrandir le gâteau.

La prochaine fois que tu travailleras sur un nouveau projet ou une idée excitante, rappelle-toi que ton plus grand ennemi n’est pas la concurrence actuelle ou future, mais bien l’obscurité. Et c’est un ennemi bien plus dangereux.


Douala 🇨🇲 

Écrire le Futur que l'on Désire, un Choix d’Aujourd'hui

Il y a quelques années, après une visite chez le dentiste, il m’a annoncé qu’il fallait m’extraire deux dents complètement cariées.

J’étais sous le choc, car je savais que les dents font partie des parties du corps qui, passé un certain âge, ne peuvent plus se régénérer. Soit tu auras un vide jusqu’à la fin de ta vie, soit tu devras poser une dent artificielle. Dans tous les cas, il n’y avait pas moyen de faire marche arrière.

La seule solution possible serait de remonter le temps et de suivre tous ces conseils qu’on nous donne chaque jour par rapport à notre hygiène buccale : se brosser les dents après chaque repas, éviter les aliments trop sucrés, et tous ceux qui pourraient fragiliser les dents. Des conseils que j’ai entendus des centaines de fois, mais que je n’ai pas pris assez au sérieux… jusqu’à ce jour de non-retour.

Malheureusement, remonter le temps n’est pas possible. Du moins, pas encore.

Je suppose que toi aussi tu as déjà vécu une situation semblable, où la seule solution se trouve dans le passé. Quelle leçon en as-tu tirée ? Parce que ce ne sera certainement pas la dernière du genre que tu rencontreras dans ta vie. Tu seras probablement atteint d’ostéoporose dans ta vieillesse, comme la plupart d’entre nous. Et il est recommandé de commencer des exercices de musculation assez tôt pour ralentir les effets de cette maladie. Fais-tu ce qu’il faut ? Car une fois que la maladie est là, il sera trop tard.

Si je te parle de ce sujet aujourd’hui, c’est pour te faire réaliser qu’il existe un futur, difficile à entrevoir ou à prédire, mais bien réel. Un toi de demain, du mois prochain, de l’année prochaine, et même peut-être un toi dans cinquante ans. Ce toi sera le résultat de tes choix d’aujourd’hui. Il ne sera peut-être pas exactement celui que tu imagines, mais tu peux d’ores et déjà faire en sorte qu’il ressemble au mieux à ce que tu souhaites.

Encore plus important : ne laisse pas ce toi du futur devoir revenir dans le passé pour résoudre certains problèmes. Le toi qui veut être un bon parent doit être présent dans la vie de ses enfants aujourd’hui. Le toi qui ne veut pas être dépendant financièrement plus tard doit commencer à épargner dès aujourd’hui et, encore mieux, créer plusieurs sources de revenus. Le toi qui ne veut pas finir ses jours alité doit dès maintenant prendre au sérieux son sommeil, son alimentation, et sa routine physique. Le toi qui veut faire partie de ceux qui seront les leaders de demain doit vivre dans cette communauté dès aujourd’hui, et non à des milliers de kilomètres d’elle. Le toi qui souhaite devenir un élu du peuple demain doit commencer sa campagne dès aujourd’hui en faisant, à son échelle, le bien qu’il pense pouvoir apporter à sa communauté à grande échelle demain.

Nous avons la chance de voir, aujourd’hui, ce qu’il manque aux personnes qui aspirent à être là où nous serons dans dix ans. Saisissons cette chance. Il serait stupide de se retrouver au même point dans dix ans et de rencontrer les mêmes problèmes.

Chaque action que nous entreprenons aujourd’hui contribue à dessiner notre futur. Il est temps de s’appliquer avec ce crayon si nous ne voulons pas nous retrouver dans un film d’horreur plus tard.


Douala 🇨🇲 

The Street Sweeper Day : Célébrons l'Excellence

Comme tous les 26 octobre, aujourd’hui est un jour spécial pour moi. C’est le "Street Sweeper Day" (ou "Journée du Balayeur de Rue") – une fête que j’ai créée en l’honneur du discours prononcé par Martin Luther King le 26 octobre 1967 dans un collège de Philadelphie. Ce discours, qui traite du culte de l’excellence, est l’une des inspirations majeures de ma vie.

Dans cette allocution adressée aux étudiants, Martin Luther King développe la métaphore d'un "plan de vie" (life blueprint) et met l'accent sur trois points essentiels :

Conviction profonde en sa propre valeur et dignité

    • Il encourage les jeunes à croire en leur potentiel.
    • Il insiste sur l'importance de ne jamais se considérer comme inférieur.
    Détermination à exceller
      • Il pousse les étudiants à viser l'excellence dans tout ce qu’ils entreprennent.
      • Il souligne qu'il faut toujours donner le meilleur de soi, quelle que soit la tâche.
      Engagement envers des valeurs nobles
        • Il appelle à s’engager pour la justice et la fraternité.
        • Il invite à avoir des ambitions qui servent la communauté.

        Le message central est que chacun doit développer un "plan" pour sa vie en s’appuyant sur ces principes, afin de bâtir un avenir meilleur, pour soi-même et pour la société. Voici une traduction du discours :

        "Je voudrais vous poser une question : quel est le plan directeur de votre vie ? Quand on construit un bâtiment, on fait généralement appel à un architecte qui dessine un plan, et ce plan sert de modèle, de guide. Un bâtiment ne peut pas être bien construit sans un bon plan solide. Chacun d'entre vous est en train de construire la structure de sa vie, et la question est de savoir si vous avez un plan approprié, solide et fiable. Je voudrais suggérer certains éléments qui devraient être à la base du plan de votre vie.

        Premièrement, dans le plan de votre vie, il devrait y avoir une conviction profonde de votre dignité, de votre valeur et de votre importance en tant que personne. Ne laissez personne vous faire croire que vous n'êtes rien. Ayez toujours le sentiment que vous comptez, que vous avez de la valeur, et que votre vie a une signification ultime.

        Deuxièmement, dans le plan de votre vie, vous devez avoir comme principe fondamental la détermination d'atteindre l'excellence dans vos différents domaines d'activité. Vous allez décider, au fil des jours et des années, ce que vous ferez dans la vie – quel sera votre travail. Fixez-vous comme objectif de bien le faire. Et je vous le dis, mes jeunes amis, des portes s'ouvrent à vous – des portes d'opportunités qui n’étaient pas ouvertes à vos mères et à vos pères – et le grand défi est d’être prêts à franchir ces portes lorsqu’elles s’ouvrent.

        Ralph Waldo Emerson, le grand essayiste, a dit dans une conférence en 1871 : "Si un homme peut écrire un meilleur livre, ou prêcher un meilleur sermon, ou fabriquer une meilleure souricière que son voisin, même s'il construit sa maison dans les bois, le monde tracera un chemin battu jusqu'à sa porte." Cela n'a pas toujours été vrai – mais cela le deviendra de plus en plus. Et donc, je vous exhorte à étudier dur, à travailler tard dans la nuit ; je vous dis, n’abandonnez pas l’école. Je comprends toutes les raisons sociologiques, mais je vous exhorte, malgré votre situation économique difficile, malgré la situation dans laquelle vous êtes forcés de vivre – restez à l’école.

        Et quand vous découvrirez ce que vous ferez dans la vie, mettez-vous à le faire comme si Dieu Tout-Puissant vous avait appelé à ce moment précis de l’histoire pour le faire. Ne vous contentez pas de faire du bon travail. Efforcez-vous de faire un si bon travail que ni les vivants, ni les morts, ni ceux qui ne sont pas encore nés ne pourraient le faire mieux. Si votre destin est d'être balayeur de rue, balayez les rues comme Michel-Ange peignait des tableaux, comme Beethoven composait de la musique, comme Leontyne Price chante à l’Opéra Metropolitan, comme Shakespeare écrivait de la poésie. Balayez si bien les rues que toutes les armées du ciel et de la terre devront s’arrêter et dire : 'Ici vivait un grand balayeur de rue qui faisait remarquablement bien son travail.'

        Si vous ne pouvez pas être un pin au sommet de la colline, soyez un arbuste dans la vallée. Mais soyez le meilleur petit arbuste sur le flanc de la colline. Soyez un buisson si vous ne pouvez pas être un arbre. Si vous ne pouvez pas être une route, soyez un sentier. Si vous ne pouvez pas être un soleil, soyez une étoile. Car ce n'est pas par la taille que l'on gagne ou que l'on échoue. Soyez le meilleur dans ce que vous êtes."

        Si, comme moi, tu es un balayeur de rue, je te souhaite un bon Street Sweeper Day. Et si tu connais des balayeurs de rue dans ton entourage, je t’invite à les célébrer en leur partageant ce texte.


        Douala 🇨🇲 

        Offrir à nos parents une vie longue et pleine de sens

        L’un des souhaits que nous partageons tous est de voir nos parents vivre le plus longtemps possible, et en bonne santé. C’est une question sur laquelle je réfléchis depuis quelques années déjà, et, comme à mon habitude, j’ai fait mes petites recherches et expérimentations. Ce que j’ai trouvé vaut ce que ça vaut, mais je pense avoir identifié un début de solution. Ce n’est pas encore validé scientifiquement, mais on ne perd rien à essayer.

        Je pense que, tant que nous sommes jeunes, nous devons accorder une attention particulière à notre santé physique : nutrition, sport, et tout ce qui va avec. Il est dans notre intérêt d’entretenir ce corps qui est censé nous porter jusqu’à la vieillesse, afin qu’il soit assez solide pour le faire. En plus, cela permet de développer des habitudes saines qui nous accompagneront toute notre vie.

        Passé la cinquantaine, cependant, notre priorité devrait se tourner davantage vers le cerveau, le travail intellectuel et les relations humaines. Si tu as la chance d’avoir encore tes parents en vie et qu’ils sont dans cette tranche d’âge, je t’invite à les aider à opérer ce changement. Comment ? En les initiant à la lecture (la philosophie, si possible), en leur offrant des mots croisés, des mots fléchés, ou tout autre jeu stimulant l’esprit. Tu pourrais aussi les initier aux jeux de réflexion, comme les échecs.

        Mais le meilleur moyen de les aider serait de travailler avec eux, surtout si tu es entrepreneur. Implique tes parents dans ton business. Donne-leur un poste, une responsabilité. Contrairement à d’autres employés, ils ne seront pas très regardants sur le salaire et seront probablement les derniers à partir en période de crise. Mais le plus important n’est pas ce qu’ils pourront t’apporter, c’est le bienfait que cela leur procurera. En travaillant avec eux, non seulement tu leur donnes une occasion de continuer à faire fonctionner leurs cerveaux, mais tu renforces également votre relation. C’est exactement ce dont ils ont besoin pour vivre plus longtemps.

        Si tu n’es pas entrepreneur et n’as pas d’entreprise dans laquelle les intégrer, tu peux toujours leur lancer un défi intellectuel. Par exemple, discute avec eux pour suivre une formation spécifique en vue de lancer un projet plus tard, de préférence une formation intellectuelle. Il y a deux ans, j’ai fait passer le permis de conduire à ma mère, alors âgée de 70 ans. Je ne te dis pas à quel point elle était contente de suivre ses cours et de réussir son examen ! Les possibilités sont infinies.

        Nous pourrions aussi transformer nos parents en enseignants. Forts de leur expérience, ils ont tellement de choses à nous apprendre, à nous et à nos enfants. Cela leur donnerait une vraie raison de continuer à s’accrocher à la vie et à rester parmi nous le plus longtemps possible.

        À côté de l’aspect cérébral, il y a aussi les relations humaines. À cet âge, nos parents ont plus que jamais besoin de se sentir entourés. C’est la raison pour laquelle ils nous envoyaient passer les vacances chez nos grands-parents. Mais aujourd’hui, non seulement nous les privons de voir leurs petits-enfants, souvent vivant à l’autre bout du monde, mais nous sommes nous-mêmes absents. Et on se considère comme une génération intelligente.

        Quand je vois certaines personnes de la diaspora retirer leurs parents des petits métiers qui leur donnaient encore un sens à leur vie, des réunions où ils retrouvaient chaque semaine les personnes importantes de leur existence, pour les emmener en Occident, dans des pays où ils n’ont plus rien à faire, je me demande toujours ce qui n’a pas marché. Mais bon, si je parle trop, on dira que je suis jaloux.


        Douala 🇨🇲 

        Voyager : le bon remède à la mauvaise dose ?

        "Tout est poison, rien n’est sans poison, ce qui fait le poison c’est la dose." disait au XVIe siècle le médecin et alchimiste suisse, Paracelse. En d’autres termes, n’importe quelle substance peut être toxique si elle est consommée à une dose suffisamment élevée. Même les substances toxiques peuvent être inoffensives ou bénéfiques à des doses appropriées. La dose est donc un facteur crucial dans la détermination des effets d’une substance sur le corps humain.

        Je pense que ce concept de dose s’applique aussi aux idées et aux philosophies. Toute idée peut être à la fois remède et poison ; la balance repose sur le dosage. La plupart du temps, ce n’est pas la substance ou l’idée qui est en cause, mais la manière dont elle est dosée. Notre organisme a besoin de sucre pour fonctionner, mais nous en consommons tellement que notre corps n’arrive plus à le transformer en carburant ; il le stocke en graisse et cela finit par nous tuer. Les idées promues par la plupart des religions (des courants philosophiques, comme j’aime à les appeler) ont du sens, jusqu’au moment où elles poussent les gens à tuer d’autres êtres humains en leur nom. Un peu de cannabis, à la bonne dose, est bénéfique pour le corps humain ; mais un excès peut entraîner la démence. Il y a du bon dans presque tout sur Terre. Le défi est de déterminer le bon dosage.

        Souvent, quand je parle de l’Afrique qui se vide, certains pensent que je veux empêcher les gens de voyager, que je considère cela comme une mauvaise chose. Au contraire, voyager est, à mon avis, une idée extrêmement bénéfique pour les populations. L’essor de la philosophie grecque et, par ricochet, le développement des peuples d’Occident doit beaucoup aux voyages entrepris en Égypte, au Moyen-Orient et en Asie par les plus grands philosophes grecs. Le voyage vers des contrées lointaines, aussi longtemps qu’on s’en souvienne, a toujours aiguisé l’esprit de ceux qui ont marqué leur époque et leur communauté.

        Mais, comme nous l’avons dit plus haut, tout repose sur la dose. Voyager pour voyager devient un poison. Et c’est exactement la situation dans laquelle se trouvent la plupart des Africains aujourd’hui. Nous avons pris l’une des substances magiques du développement et l’avons transformée en poison. Beaucoup d’Africains de la diaspora ne connaîtront jamais les bienfaits du voyage, car trop concentrés à vouloir s’intégrer dans une société qui ne les acceptera probablement jamais.

        En environ 22 ans passés en Égypte, Pythagore aurait appris les mathématiques et la géométrie, l’astronomie, la philosophie et la spiritualité, le symbolisme et les mystères ; autant de connaissances cruciales pour le développement de ses idées philosophiques et scientifiques. Nous savons aujourd’hui quelles ont été les répercussions de ces apprentissages sur la société occidentale, et ce, jusqu’à nos jours.

        En 22 ans en Occident, l’Africain type passe les 10 premières années à essayer d’obtenir la nationalité du pays d’accueil et les 12 autres à faire savoir aux autres Africains restés au pays qu’il est maintenant américain, canadien ou français. Et aucune année n’est consacrée à apprendre quelque chose qui pourrait lui servir dans son pays d’origine. Par son comportement, il a réussi à dénaturer les bienfaits du voyage, tout comme l’industrie agroalimentaire a transformé le sucre, vital aux êtres humains, en l’un des plus grands poisons de notre espèce.

        Quand je dis qu’il faut que nous nous calmions sur le voyage, c’est parce que nous n’arrivons plus à respecter le bon dosage. Ce qui était censé être une idée salvatrice pour nous est en train de nous précipiter vers notre fin. Et quand on n’arrive plus à respecter le bon dosage, la meilleure chose à faire est de se priver de la substance ou de l’idée, au risque d’une mort prématurée.

        Toi qui es en Occident, j’aimerais que tu prennes conscience de ta responsabilité dans cette situation. Car oui, quand il s’agit de dosage, nous sommes tous gardiens de nos frères.


        Douala 🇨🇲 

        Liberté d'expression : apprendre à se battre plutôt que de spéculer

        "La plus grande honte pour un homme n'est pas de tomber, mais de tomber deux fois dans le même piège." – Proverbe africain.

        Maintenant qu'il est de retour et qu'il semble aller bien, as-tu tiré les leçons de tes erreurs ? Comment te prépares-tu à faire face à une prochaine tentative de restreindre ton droit fondamental à la liberté d'expression ? Vas-tu apprendre les rouages et la discipline de l'écriture pour pouvoir raconter une histoire fictive dont tout le monde connaîtrait les protagonistes, afin d'être prêt la prochaine fois qu'un prince cherchera à abuser de son pouvoir pour te faire taire ?

        Car si, après tout cela, tu te retrouves encore une fois dans la même situation où l'on t'a forcé à être il y a quelques jours, tu serais une honte pour le peuple africain.

        Et en passant, spéculer sur la mort de quelqu'un, même s'il s'agit du pire ennemi de l'humanité, ne fait de toi qu'un charognard. Lâche, opportuniste malsain, parasite social et suiveur médiocre, dépourvu de toute prise d'initiative. La prochaine fois que tu voudras exprimer ton désir ardent de changement, il faudra penser à te retrousser les manches plutôt que d'espérer que les autres fassent le travail pour toi, y compris la nature.


        Douala 🇨🇲 

        Partir ou rester : une question de responsabilité envers nos proches

        Il y a quelques mois, je suis tombé sur un ami d’enfance avec qui j’ai pris un peu de temps pour discuter. Comme la plupart de mes amis d’enfance, il m’a félicité pour le fait que j’ai réussi à « ranger » mon frère. Apparemment, ils sont tous impressionnés par la personne qu’il devient et attribuent ce changement à mon retour au pays.

        Il m’a aussi parlé de son père, malade et atteint d’une maladie du foie. Il m’a expliqué qu’il n’y avait qu’un seul hépatologue à l’hôpital Laquintinie, où son père était interné, et que ce dernier était tellement surbooké qu’il était presque impossible de suivre un patient normalement. Heureusement pour lui, nous avons un grand-frère du quartier qui, après ses études de médecine en Afrique de l’Ouest et quelques stages en France, est retourné exercer au Cameroun. C’est lui qui essayait d’analyser les résultats d’examen du père et de lui indiquer la démarche à suivre.

        Il en était tellement reconnaissant. Sans ce grand-frère, comme il l’a dit lui-même, il ne savait pas ce qu’il aurait fait. Rester dans le noir, sans informations, alors qu’on a un proche qui souffre le martyre, ce n’est pas facile.

        Plus loin dans la conversation, il m’a encore demandé pourquoi j’étais rentré au pays. Comment, alors que tout le monde veut partir, moi, je suis en train de rentrer. J’ai d’abord fait une pause, me demandant si les gens s’entendent même parler dans ce pays.

        Je lui ai dit que s’il faisait une petite recherche sur Google, il se rendrait compte qu’en région parisienne seulement, il y a au moins une vingtaine d’hépatologues d’origine camerounaise. Que pendant que son père est en train de mourir ici, des Camerounais comme moi préfèrent rester en Occident pour soigner les parents des autres. Je lui ai demandé comment il aurait fait si ce grand-frère aussi avait décidé de rester en France. Et j’ai fini par lui rappeler que s’il est aussi impressionné par la nouvelle trajectoire de mon frère, c’est aussi peut-être parce que j’ai choisi de retourner auprès des miens pour montrer la voie.

        Je lui ai demandé s’il s’était déjà posé la question de savoir ce qui arriverait quand nous serons tous partis. Quand tous les médecins, tous les ingénieurs, tous les artisans, tous les artistes seront partis. Que deviendront notre pays, nos parents, nos familles, nos amis ?

        Et à toi, Africain, qui lis ce texte depuis l’Occident, je te pose la même question. À ton avis, qui rendra à ta famille ici au pays le service que tu es en train de rendre aux familles des autres là-bas ?


        Douala 🇨🇲 

        Langue et identité : un petit geste qui fait toute la différence

        Tout à l’heure, j’étais sur la moto, et nous avons eu une crevaison. Le chauffeur, un gars du Nord (les Babana, comme on aime les appeler), a dû s’arrêter pour que je prenne une autre moto. Il arrêtait les motos qui passaient pour organiser mon transfert.

        La première chose qui m’a frappé, c’est qu’il leur parlait directement en langue (leur langue), comme s’il avait une façon précise de savoir si le chauffeur parlait cette langue. Sur les cinq interpellés, il n’y en a qu’un seul qui ne la parlait pas, sûrement un chauffeur qui n’est pas originaire du Nord.

        Tu me diras peut-être que c’est facile de les distinguer, mais crois-moi, ce n’est pas si simple. Même moi, qui ai un sens aigu de l’observation, je ne pourrais pas parier sur un score de plus de 50 % si je devais m’essayer à l’identification. Pourtant, j’ai vécu trois ans au Gabon, un pays où tu développes rapidement l’expertise pour déterminer l’origine des gens que tu rencontres, même pour la première fois.

        Mais l’histoire d’aujourd’hui ne tourne pas autour de l’identification. Non ! Il s’agit de la langue. Aussitôt que le chauffeur interpellait un autre, il lui parlait dans leur langue (dont je ne connais pas le nom, malheureusement). Il a négocié mon transfert devant moi sans que je ne comprenne un seul mot. Et c’est une habitude assez courante chez eux. Ils se parlent toujours dans leur langue.

        Je me suis alors demandé comment cela se fait-il que je monte tous les jours sur des motos, que ces chauffeurs fassent partie de ma vie d’une manière ou d’une autre, et que je ne puisse même pas dire "merci" dans leur langue. Pourtant, je travaille mon anglais tous les jours, je parle italien, et je prévois d’apprendre le chinois ainsi que d’autres langues occidentales.

        Je me suis aussi demandé quelles langues locales je parlais, en dehors de la mienne. Et là, j’ai réalisé que je ne suis pas très différent de ces pleurnichards de la diaspora africaine qui font des pieds et des mains pour être considérés comme des Français de souche.

        La moindre des choses serait d’apprendre les langues des personnes avec lesquelles je passe le plus de temps. Les personnes qui partagent ma réalité. Les personnes qui pourraient être les premières à me porter secours si quelque chose m’arrive. Mais non, nous préférons jouer aux petits blancs avec les têtes vides.

        Bref, il va falloir que j’arrange tout ça. C’est ça aussi, le leadership.


        Douala (Babana City) 🇨🇲 

        Sortir de la bulle occidentale pour comprendre vraiment le monde

        Quand je discute avec certaines personnes de la diaspora, je ressens souvent une espèce d’arrogance alimentée par le fait qu’elles vivent en Occident et ont souvent voyagé dans d’autres pays occidentaux ou leurs anciennes colonies en Afrique. Parce qu’elles ont visité une vingtaine de pays et parlent souvent deux ou trois langues, elles pensent bien connaître le monde.

        Certaines justifient cette petite condescendance en suivant assidûment les informations, en s’assurant de lire les médias de gauche et de droite pour avoir les avis des deux camps. Et moi, la question que je leur pose souvent est : combien de temps as-tu vécu en Asie ? Combien de langues asiatiques parles-tu couramment ? Parce que sur les 8 milliards d’habitants vivant sur Terre, l’Asie en compte presque 5 milliards. Plus de 62 %. En d’autres termes, plus de 3 personnes sur 5 sur Terre vivent en Asie, dont deux en Chine ou en Inde.

        Quand tu te considères comme un expert de la planète, quand tu penses savoir ce qui est bon ou pas, quand tu prétends connaître les us et coutumes de l’humanité, sur quoi te bases-tu si tu ne sais pas ce qui se passe dans la plus grande partie du monde ?

        Ces mêmes personnes, avec leur soupçon de condescendance, ne savent souvent même pas ce qu’est une agence de presse. Beaucoup d’entre elles ignorent que la plupart des informations relayées dans les journaux proviennent de quelques agences de presse dans le monde. Des agences financées par des États et qui, la plupart du temps, présentent les informations dans l'intérêt de leurs financeurs. Tu en connais certainement quelques-unes très célèbres si toi aussi tu es nourri au discours occidental : Reuters (Royaume-Uni/Canada), Associated Press (AP) (États-Unis) ou encore l’Agence France-Presse (AFP) (France). Les trois plus puissantes en Occident, à l'origine de la majorité des informations que l’on peut lire dans ces pays.

        Mais la plupart des pays du monde ont leurs propres agences de presse, toutes aussi influentes dans leurs régions. On peut citer, par exemple, Sputnik (Russie), qui fait l'objet de restrictions dans certains pays, notamment l'Union européenne qui a interdit sa diffusion en 2022 après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Xinhua News Agency (Chine), Press Trust of India (PTI) (Inde), Agencia Brasil (Brésil), Islamic Republic News Agency (IRNA) (Iran), ou encore la Korean Central News Agency (KCNA) (Corée du Nord), pour ne nommer que celles dont on entend rarement la version des faits et que l’on nous présente souvent comme les méchants.

        Tu ne peux pas te targuer de connaître le monde si, toute ta vie, tu n’as vécu que dans une bulle, si tu ne parles que des langues issues de cette bulle, et si tu n’as jamais fait l’effort de voir ce que les autres disent. Parce que oui, qu’on le veuille ou non, ces autres que nous avons tendance à négliger sont plus représentatifs de la population de la Terre que nous ne l’imaginons.

        La prochaine fois que tu voudras faire le malin, j’espère que tu te rappelleras à quel point tu peux être ignorant. La prochaine fois que tu voudras apprendre une nouvelle langue, j’espère que tu réfléchiras à deux fois avant de la choisir. La prochaine fois que, comme un mouton, tu voudras lancer la pierre sur l’ennemi désigné par ton journal favori, j’espère que tu prendras la peine de lire l’autre version des faits. Et pas celle fournie par le même fournisseur à un autre journal.


        Douala 🇨🇲 

        L’hygiène alimentaire, un défi à relever au Cameroun

        Aujourd’hui encore, j’ai eu une discussion super intéressante avec ma mère, en marge de notre séance de travail. Franchement, si tu as la possibilité de vivre près de tes parents et surtout de travailler avec eux, je te recommande vivement de le faire. Il n’y a pas que l’argent dans la vie.

        Comme d’habitude, nous avons parlé de beaucoup de choses : des histoires de famille, de sa jeunesse, des événements qui se sont passés avant et après ma naissance, mais aussi des anecdotes sur notre secteur d’activité, la restauration.

        Elle m’a raconté comment elle a été dégoûtée de la viande hachée il y a des décennies, alors qu’elle travaillait dans une grande poissonnerie-boucherie de la place (qui n’existe plus d’ailleurs). Elle m’a expliqué qu’ils avaient deux types de viande hachée à des prix différents. La première était de la viande de bœuf importée (oui, on importait déjà de la viande de bœuf à cette époque), et la seconde était constituée de tous les déchets de viande qui restaient au congélateur. Le patron avait décidé d’en faire un produit pour maximiser les gains. Depuis cette période, elle n’a plus jamais mangé de viande hachée à moins d’avoir participé au processus de hachage.

        Je lui ai dit que c’était justement la nourriture que nous consommions à l’extérieur qui nous tuait dans ce pays. Elle m’a raconté l’histoire d’une vendeuse de beignets qui ne mangeait jamais ses propres produits, préférant ceux de sa voisine car elle savait dans quelles conditions elle les préparait. Elle a aussi évoqué le piment pourri que les vendeurs de nourriture achètent pour faire leur sauce, un piment tellement décomposé qu’il est impossible de le laver correctement.

        Bref, nous avons fait notre petit kongossa sur les conditions de préparation des repas que nous consommons dans la rue et dans certains restaurants. Au nom de l’argent, certains sont prêts à vendre du poison à leurs clients. On se plaint tous les jours du gouvernement, alors que nous sommes en train de tuer notre immense patrimoine culinaire pour des miettes.

        L’une des raisons pour lesquelles nous nous battons chaque jour avec Katering pour faire avancer les choses, même difficilement, c’est justement pour permettre à tous les Camerounais de pouvoir manger sans crainte dans la rue. De pouvoir savourer leurs repas l’esprit tranquille, sachant que toutes les conditions d’hygiène ont été respectées, de la qualité des produits choisis à l’emballage final. C’est l’humble mission que nous nous sommes donnés. Si tu me cherches sans me voir, c’est parce que je suis concentré à résoudre ce problème.


        Douala 🇨🇲